Jean Zay, l'Homme-République

Il y a 80 ans.

Il y a quatre-vingts ans, l’Espérance et la Peur se sont affrontées. Le Front Populaire dont on ne peut taire l’anniversaire, a profondément marqué l’histoire de France. Il traîne deux légendes se disputant l’Histoire. « La légende dorée » de la gauche, célèbre l’élan populaire, les défilés ensoleillés, les foules joyeuses, les loisirs, les congés payés, la fête, la mer, l’enthousiasme des temps nouveaux ! « La légende noire » des droites, retient sa haine pour le poing levé, les affrontements, les grèves, les troubles à l’ordre, l’échec économique et imputera au Front populaire tous les péchés jusqu’au désastre de 40 ! D’un côté l’Espérance « le pain, la paix, la liberté ». De l’autre, la grande Peur de « l’été rouge », la peur bleue du patronat. Quoique l’on pense aujourd’hui du Front populaire et comment l’on juge son « échec » économique sanctionné par Daladier et les accords de Munich en 38, on ne peut pas effacer les traces profondes économiques, sociales et culturelles dont il a empreint le pays : Les accords Matignon – conventions collectives – hausses des salaires – 40 h – congés payés – délégués ouvriers – Réforme de la Banque de France – l’Office du blé – la SNCF – Réformes scolaires – Réformes culturelles -etc.

À ce grand élan de fièvre réformatrice et de ferveur politique, deux jeunes protestants (parmi d’autres sans doute), distingués par Léon Blum y participèrent : André Philip (1902-1970) et Jean Zay (1904-1944).

Le premier, professeur d’économie politique à Lyon, élu socialiste du Front populaire en mai, au titre de député il a été rapporteur de deux grandes lois réformatrices dont celle des 40 heures. Responsable des étudiants chrétiens, membre de la SFIO, il est un des 80 députés qui refusèrent les pleins pouvoirs à Pétain. Pendant l’occupation il devient, avec sa femme, une des figures marquantes de la Résistance. Il rejoint Londres et le Général De Gaulle en1942 et devient le Commissaire à l’intérieur du CFLN. À la libération il retrouvera Léon Blum dont il fut le conseiller économique et poursuivra une brillante carrière de Ministre. (création de l’Insee, de la Coface, nationalisation du secteur de l’énergie, etc.) Juriste et économiste il fut le rédacteur du préambule de la Constitution de 1946 (incorporé depuis au socle constitutionnel) où les droits économiques et sociaux sont affirmés. Il poursuivit avec une vision morale sans concession ses engagements pour les valeurs universelles. (Opposition à la guerre d’Algérie, pour la construction européenne, rigueur économique, etc.).

Le second, de deux ans son cadet, brillant avocat, réélu en mai, jeune turc du parti radical-socialiste comme son ami Mendès France, fut, peut-être, le ministre le plus emblématique du Front Populaire, tant est grande la trace qu’il imprima à l’Éducation nationale et à la culture du pays. Son entrée au Panthéon, en mai 2015, rendit hommage à sa vie de républicain résistant, au « martyr de la République » et à toute son œuvre de Ministre réformateur non seulement de l’Éducation nationale mais aussi des beaux-arts et de la culture. « Le moment Jean Zay » dépasse ces quarante mois de ministériat. Le plus jeune ministre de la IIIème République, a eu sous sa houlette, l’Éducation nationale, les Beaux-arts, la Recherche, les Sports et les Loisirs formant un grand ministère avec deux, trois, secrétaires d’État, (Irène Joliot Curie, Cécile Brunschvicg, Suzanne Lacore (trois femmes sans droit de vote !) et Léo Lagrange. Seule la prolongation de la scolarité de 13 à 14 ans a eu la consécration législative en août 36. Malgré cette absence de grande loi, la réussite de Jean Zay dans la modernisation et la démocratisation de l’École et des Enseignements est insigne. Contournant le blocage parlementaire et législatif du grand projet de réforme générale de l’enseignement, Jean Zay impulse ses réformes par décrets, circulaires, arrêtés, expérimentations sur le terrain : Réforme et rapprochement des enseignements – les trois degrés, primaire-secondaire-supérieur –classe d’orientation- loisirs dirigés –initiatives pédagogiques – création du CSOS (ancêtre du Crous) – maison des jeunes –créations, même si certaine durent attendre leur concrétisation après- guerre (ENA – CNRS). L’ensemble de son action a posé les bases du système scolaire moderne. Même impulsion réformatrice dans la politique culturelle : Projet de réforme du droit d’auteur et du contrat d’édition ; bibliobus ; ouvertures de nouveaux lieux de cultures ; ouvertures de nouveaux musées – de l’Homme – d’Art moderne – Arts et traditions populaires – de la Marine – des Travaux publics – des Monuments français – du Palais de la Découverte ; francophonie, encouragements multiples dans tous les domaines artistiques, lettres, musiques, peintures, sculptures, création du Festival de Cannes, TNP, etc. Boulimique de réformes, affamé de travail, enthousiaste de justice et de démocratie l’« Homme–République », comme on l’a nommé, a marqué son siècle. « La liste des réalisations et des projets de Jean Zay est impressionnante. Voilà un jeune trentenaire qui en quarante mois a fait plus pour réformer la France que des dizaines de ses confrères réunis dans toute leur vie » écrit Roger Karoutchi un de ses biographe qui est loin de lui politiquement. Et puis la guerre, l’engagement comme officier, un emprisonnement de quatre ans (véritable lettre de cachet de Pétain qui se venge du juif, du front populaire, du parlementaire, du franc-maçon, du protestant) après un procès indigne qui le condamne à la même peine que le capitaine Dreyfus –déportation et dégradation militaire- enfin l’assassinat par des spadassins collabos (milice) expression abominable de la haine, (20 juin 1944) privèrent la France d’un des plus brillants espoirs d’homme d’État. Celui dont Mendès France écrivait : « comme devant être appelé à être l’un des meilleurs pilotes de sa génération… Il est demeuré de Jean, -poursuit Mendès – une image exceptionnelle de lumière, d’intelligence et d’humanité. »

Il y a cent ans, le 10 juin 1916, un petit garçon de douze ans, prénommé Jean, écrivait dans sa composition française du certificat d’études, apostrophant un aviateur dans son appareil en flammes : « Meurs heureux ! La France te doit une éternelle reconnaissance, tu meurs pour lui apporter la liberté, la paix et le bonheur, meurs heureux ! … La France est là, elle garde dans son livre d’or le nom de ces martyrs gravé éternellement, meurs heureux ! ».