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jeudi 24 septembre 2009

Le statut de La Poste

Note du Secrétariat national « Service public » du PS

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Le statut de La Poste

Le changement de statut de « La Poste » d’établissement public en société anonyme par actions est clairement demandé depuis un an par ses dirigeants et a été repris par le rapport Ailleret, puis par le président de la République qui veulent profiter de la mise en concurrence totale décidée au sein de l’Union Européenne pour le 1er janvier 2011 pour imposer la réforme, même si celle-ci va au delà des demandes européennes.

Les hésitations du gouvernement quant à la date du débat parlementaire sont significatives des larges oppositions qu’a suscitées son projet dans la société française, de la part des populations, des élus locaux, des usagers, des personnels et des organisations syndicales. C’est un encouragement à exiger le rejet du changement de statut et de la privatisation qu’il prépare. D’autant que d’autres solutions existent.

Les promoteurs de la réforme mettent en avant trois raisons complémentaires, que l’on peut ainsi résumer :

  • disposer des moyens d’affronter la libéralisation totale du marché du courrier en 2011 et respecter les règles européennes,
  • avoir les moyens de lever 2 à 3 milliards d’Euros pour financer la croissance sans solliciter les finances publiques,
  • disposer des moyens de nouer des alliances stratégiques et de pouvoir profiter des opportunités de croissance externe, afin de ne pas « sortir du groupe des grands européens » et de rester « une des postes qui structurent le marché européen ».

Aucun de ces arguments ne résiste à un examen rigoureux de la situation et des enjeux.

« Disposer des moyens d’affronter la libéralisation totale du marché du courrier en 2011 et respecter les règles européennes » ?

D’abord, ni les directives ni les normes communautaires ne comportent d’obligations juridiques concernant le statut des opérateurs ou leur « privatisation ». Il y a parfois de fortes pressions des Institutions européennes pour passer de la libéralisation à la privatisation. Mais cette décision est du seul ressort des Etats membres. L’exemple de Gaz de France est révélateur. Au départ, le gouvernement et le Parlement s’étaient engagés à ce que la part de l’Etat ne descende pas en dessous de 70%. Mais la promesse a été abandonnée lors de la fusion avec Suez et on est passé très vite de la libéralisation à la privatisation. __ « Avoir les moyens de lever 2 à 3 milliards d’Euros pour financer la croissance sans solliciter les finances publiques » ?__

En fait, non seulement La Poste ne fait aucun recours aux finances publiques pour assurer son financement ou son développement, mais ce sont les utilisateurs des services postaux qui financent le budget de l’Etat (plus de 600 millions en 2007), compte tenu que les obligations de service public (aménagement du territoire, transport et distribution de la presse, accessibilité bancaire) ne sont pas toutes compensées. La Poste autofinance largement ses investissements et sa modernisation, tout en assurant son désendettement. Reprenant l’argument des besoins de capitaux pour la modernisation de La Poste, comme élément clé nécessitant selon lui le changement de statut, le rapport Ailleret avance des chiffres qui ne justifient rien.

Dans la version du 9 décembre 2008, le projet de rapport avouait que les besoins d’investissements « internes » pour 2009-2012 étaient du même ordre que les capacités actuelles de financement de La Poste (environ 4,5 milliards d’Euros), mais précisait que la « croissance externe » pouvait nécessiter de 2,9 à 4,3 milliards d’Euros sur la période. Ces chiffres ont mystérieusement disparu de la version finale du rapport…

Ainsi, le seul élément justifiant le changement de statut se résume à « disposer des moyens de nouer des alliances stratégiques et de pouvoir profiter des opportunités de croissance externe ».

Cet argument relève soit d’une erreur stratégique d’appréciation des spécificités du « marché postal », soit d’une volonté de transformer les missions de La Poste. Les arguments mis en avant visant à ne pas « sortir du groupe des grands européens » et de rester « une des postes qui structurent le marché européen » relèvent d’une référence implicite à la situation des télécommunications, du transport aérien ou de l’énergie dans lesquelles la libéralisation débouche sur la constitution d’un oligopole de quelques grands groupes qui dominent et structurent le marché européen. Or les services postaux présentent la spécificité d’être profondément ancrés dans les territoires, d’être des services publics de terrain, de « proximité » ; l’activité repose sur un contact quotidien avec la grande majorité de chacun des utilisateurs ; elle implique une présence physique et des possibilités de contacts humains réguliers à un maillage extrêmement fin. En réalité, l’objectif des dirigeants de La Poste est de pouvoir « jouer au monopoly en Europe », procéder à des acquisitions et avoir un comportement prédateur. En fait, l’enjeu consiste à la fois à refonder le service public postal et à en assurer la démocratisation.

Les spécificités de la « libéralisation » communautaire postale (directives de 1997 – 2002 – 2008)

La directive européenne de 2008, qui complète les directives de 1997 et de 2002, qui avaient commencé à libéraliser le secteur postal, vise à l’« achèvement du marché intérieur postal » en procédant à la libéralisation totale du courrier en 2011. Il convient cependant de procéder à un examen précis des dispositions communautaires spécifiques au secteur postal. A la différence des autres secteurs (télécommunications, énergie, transports), les textes communautaires comportent une définition assez ambitieuse et exigeante du « service universel » garanti à chaque habitant de l’UE au plan communautaire. Il s’agit précisément :

  • d’assurer au moins cinq jours ouvrables par semaine, « sauf circonstances ou conditions géographiques jugées exceptionnelles », au minimum : la levée, le tri, le transport et la distribution des envois postaux jusqu’à 2 kilogrammes, des colis postaux jusqu’à 10 kilogrammes (pouvant être étendu à 20 kg), les services relatifs aux envois recommandés et aux envois à valeur déclarée ;
  • de définir un plan ambitieux de présence postale, afin de « tenir compte des besoins des utilisateurs » ;
  • de permettre d’assurer la gratuité pour les aveugles ;
  • de définir précisément des normes de qualité de service (délais de distribution, attente aux guichets, réactivité aux demandes) ;
  • de garantir des voies de recours, de règlement des litiges et d’indemnisation pour les utilisateurs ;
  • de garantir les « exigences essentielles », y compris le respect des conditions de travail et des régimes de sécurité sociale, le respect des conventions collectives, la protection de l’environnement, l’aménagement du territoire ;
  • de garantir un service identique pour les utilisateurs dans des conditions comparables et mettre en place des dispositifs précis d’évolution en fonction de l’environnement technique, économique et social, ainsi que des besoins des utilisateurs ;
  • de décider d’un tarif unique sur tout le territoire national pour chacun des services faisant partie du service universel et garantir qu’il soit abordable pour tous les utilisateurs, afin que chacun de ceux-ci y ait accès ;
  • de désigner un ou plusieurs prestataires du service universel.

Refonder le service public postal universel :

La directive confie à chaque État membre la mission d’adopter les mesures nécessaires à la garantie du service universel, leur reconnaissant donc de larges pouvoirs d’adaptation à la spécificité de leurs situations.

Lors de la préparation du projet de directive de 2008, certains acteurs avaient souhaité l’allègement de ces obligations jugées être des obstacles à l’introduction d’une réelle concurrence dans le secteur. Mais ni la Commission européenne dans son projet, ni le Conseil, ni le Parlement, lors du processus de co-décision, n’ont suivi cette voie et la directive postale est aujourd’hui la plus « équilibrée » entre objectifs de libéralisation et définition d’objectifs d’« intérêt général ».

Si la directive de 2008 a pour principale caractéristique la disparition du « secteur réservé » pour assurer le financement du service universel, elle définit des possibilités là encore plus étendues que pour les autres secteurs. Même si l’on peut regretter que l’une des formes de financement du service public universel ne puisse plus être un « secteur réservé » pour une partie du service, position que les socialistes ont défendu au Parlement européen la directive communautaire laisse de larges marges de manœuvre en matière de financement.

On peut donc, y compris dans le cadre communautaire actuel, refonder le service public postal, en précisant des objectifs et missions ambitieux de service public (ou de service universel, c’est ici rigoureusement identique) comme la garantie d’égalité, d’un service identique pour les utilisateurs dans des conditions comparables ; un tarif unique sur tout le territoire national pour chacun des services faisant partie du service universel et garantie qu’il soit abordable pour tous les utilisateurs, afin que chacun de ceux-ci y ait accès ; la garantie de la sécurité, de la sûreté et de la confidentialité des communications ; le blocage de toute forme de dumping social ou d’écrémage territorial ; la mise en place de dispositifs précis d’adaptabilité et d’évolution en fonction de l’environnement technique, économique et social, ainsi que des besoins des utilisateurs ; la désignation de La Poste comme prestataire du service universel.

En fait, il faut inverser la démarche qui est à la base aussi bien des demandes des dirigeants de La Poste que du rapport Ailleret pour partir non pas du projet industriel de la Poste et des milliards à trouver pour lui permettre d’acheter d’autres entreprises en Europe, mais des besoins et des garanties des usagers et des travailleurs du secteur afin de refonder un service public postal efficace.

Financer le service public postal universel :

La directive européenne empêche de financer le service public universel par un « secteur réservé » pour une partie du service. Même si elle laisse des marges de manœuvre en matière de financement lors de la transposition, il faut continuer à demander à la fois à la Commission et aux autres Etats-membres d’annuler la suppression du secteur réservé dans tous les Etats-membres intéressés.

Sur la compensation résultant de la suppression du secteur réservé, la directive de 2007 est fort imprécise, renvoyant sans commentaire à plusieurs solutions éventuelles entre lesquelles on pourrait choisir. Quant au rapport Ailleret, il considère le problème comme résolu : « le mécanisme de la compensation et la responsabilité de l’évolution des charges du service universel ont été définis » (p.19 du rapport). Sans préjuger d’un satisfecit, parmi les solutions proposées par la directive le système « play or pay » ne fait payer que les nouveaux entrants sur le marché (donc ni l’Etat ni les usagers). Néanmoins ce système pose deux problèmes non résolus : d’abord établir le coût précis du service universel et des obligations qu’il comporte pour l’opérateur qui en a la charge, y compris en matière d’« exigences essentielles » : calculer précisément, pour chacune de ses composantes, le surcoût que supporte La Poste par rapport à une situation où elle n’agirait qu’en fonction d’objectifs commerciaux. On a le précédent de France-Télécom où l’évaluation du coût du service universel fait l’objet de contestations permanentes (voire de marchandages), dues à la difficulté de calculer de façon précise et objective ladite charge ; encore plus importante pour la Poste que pour France-Télécom, le service universel étant d’un poids plus lourd que pour les télécommunications – ayant déterminé (difficilement) ce surcoût, il convient d’en examiner le financement : d’après le système « play or pay », un nouvel entrant ou un concurrent potentiel s’engage à respecter et à prendre en charge l’ensemble des obligations de service universel au même titre et dans les mêmes conditions que La Poste ; soit il verse une redevance, en pourcentage de son chiffre d’affaires lié aux engagements qu’il prend, à un fonds de compensation, de façon à égaliser les conditions de concurrence (cf. la situation en Finlande) ; cette disposition doit être inclue dans l’autorisation que met en place l’Etat pour tout nouvel opérateur. Rien ne prouve que les éventuels nouveaux entrants seront réellement contraints de jouer le jeu de la compensation, car des conditions d’entrée exigeantes réduiraient au strict minimum (comme en Finlande) la concurrence recherchée par la directive ; on tendra alors à adopter une attitude complaisante pour attirer les nouveaux entrants éventuels.

Pour éviter de telles dérives, il semble indispensable d’exiger, préalablement à l’application en 2011 de la directive sur ce point : – l’organisation d’une évaluation objective et contradictoire du montant de la perte de recettes qu’entraînera pour l’opérateur historique la suppression du secteur réservé, – la mise en place d’un contrôle garanti du payement total, par tout nouvel entrant sur le réseau, de sa participation au service universel, en fonction de son chiffre d’affaires.

Relever le défi de la communication

Si le service postal se définit de manière traditionnelle, il faut aujourd’hui étendre le champ de responsabilité du service public universel à l’ensemble des besoins de communication, d’information et de service.

Par exemple :

  • que chaque bureau de poste soit un lieu d’accès haut débit à internet ;
  • que la Poste soit le « tiers de confiance » des usagers en matière de signature numérique et de paiement en ligne ;* que la Banque postale soit redéfinie et reconstruite sur la base d’un véritable service universel bancaire ;
  • que chaque bureau de poste, ou chaque lieu d’accueil de chaque autre service public, développe des synergies entre services publics, de façon à mettre en place des moyens intégrés de réponse aux besoins des usagers et des citoyens.

Construire un véritable service universel européen

Les services postaux sont au cœur des missions d’intérêt général, de service public et de « service universel » reconnues dans les traités et directives communautaires, dont l’objectif est de garantir le droit d’accès de chaque habitant en tout point du territoire européen à des services de communication de qualité ; d’organiser la cohésion économique, sociale et territoriale de l’UE, le lien social, de développer les conditions d’un développement durable. On ne saurait se satisfaire longtemps d’un renvoi aux Etats membres de la définition du contenu et du financement du service universel. D’abord, parce que cela ne peut que créer des distorsions entre les Etats, contraires aux objectifs mêmes de réalisation d’un marché unique. Surtout parce que l’Union européenne a besoin d’un service de communication intégré et de développer des solidarités entre les Etats membres dont les caractéristiques de géographie physique et humaine sont profondément disparates. Il faut donc poser ouvertement la question d’un dépassement de la seule libéralisation par la construction progressive, pour tout ce qui relève du service universel garanti à chaque habitant en tout point du territoire européen, d’un service postal communautaire, à commencer par la création d’un timbre européen unique pour les envois du service universel (ce qui par ailleurs comporterait un aspect symbolique fort pour chacun des citoyens), avec la mise en place de mécanismes de compensations et de péréquation adaptés. Les institutions européennes doivent prendre les initiatives en matière de contrôle, de régulation et d’évaluation pour que le service universel soit effectivement garanti en tout point du territoire européen pour chacun des habitants. En particulier, les régulateurs nationaux (souvent également régulateurs des télécommunications) doivent être coordonnés par un régulateur européen, chargé de faire respecter les règles du marché unique et celles du service universel.

Conclusion

On a pu constater que la ligne de front du gouvernement sur ce sujet évolue en fonction des rapports de force. Envisageant d’abord une ouverture du capital de La Poste au privé, dans la suite logique du changement de statut, face à la résistance syndicale il a ensuite reculé en affirmant que La Poste resterait dans le domaine public. Puis il a déplacé l’échéance, depuis le mois de juin 2009 pour une date indéterminée. Il est très probable qu’il attende le moment qu’il estimera favorable pour pousser sa solution, comme il l’a fait chaque fois qu’il a voulu parvenir à privatiser un service public, la dernière manœuvre de ce type ayant été celle du futur président de la République (à l’époque ministre des finances) jurant solennellement devant les syndicats que jamais Gaz de France ne serait privatisé au-delà de 30%. On a vu la suite ! Il faut donc ne pas relâcher la vigilance et s’appuyer sur le consensus populaire actuel qui soutient cette résistance. Et la meilleure défense n’est-elle pas de prendre l’offensive en organisant les conditions d’un large débat public qui aboutirait à un referendum populaire organisé par exemple dans chaque commune -pouvant, si possible, être étendu au niveau national- ?