Le Liban

Merci ML de cette analyse que tout le monde reconnait comme passionnante.

Un pays récent ?

Un paysage ancien mais une histoire récente.
La géographie du pays du Cèdre montre d’ouest en est :

  • une plaine côtière (200 km N/S)
  • La Montagne. Le Mont Liban (2500 m)
  • La plaine plateau de la Bekaa (800 m)

Encerclé par la mer à l’ouest, par la Syrie au nord et à l’est, par Israël au sud.
La plaine côtière est urbanisée. La montagne est pauvre. La Bekaa plus riche.
La population est estimée à 3,8 Mh.
L’économie n’est pas favorisée par des ressources. Seule ressource : l’eau et donc une hydroélectricité. Pas d’industrie. Pas d’agriculture. Mais du commerce ! (Port de Beyrouth). En période calme : le tourisme.
La vraie richesse provient de l’émigration et des flux de capitaux reçus en retour. Mais l’émigration est un handicap par la fuite des cerveaux et des forces vives (notamment chrétiennes).
La « belle » richesse vient de la Banque, de la place financière toujours renaissante, mais le handicap est un endettement « énorme ».
Le Liban Monte Carlo ou Suisse du Moyen Orient est un de ces clichés trompeurs.

Le Levant est de toujours une terre de passage (Phénicie). Une mosaïque de peuples, de communautés confessionnelles, de cultures, mais on ne peut à proprement parler d’histoire du Liban qu’à partir du 16° s. Une identité libanaise commence à émerger à partir des émirs maanides notamment l’émir Fakhreddine II (1591 – 1635) Considéré comme Père du Liban, il est décapité par les Ottomans en 1635. Sans s’y confondre totalement l’histoire du Liban est celle des communautés religieuses qui occupent ce territoire. « Communautés » religieuses est le maître mot pour approcher le Liban, le « cliché des clichés ». Il y a d’un coté les communautés « chrétiennes » fruits des divisions théologiques des premiers siècles du christianisme et de l’autre les communautés « musulmanes » fruits des querelles dynastiques dans l’Islam.
En résumé :
Les communautés chrétiennes :

  • Maronites (rattachées à Rome.)
  • Melkites (grecs orthodoxes)
  • Grecs catholiques
  • Arméniens.

Les communautés musulmanes:

  • Sunnites
  • Chiites
  • Druzes.

Toutes ces communautés se subdivisent en multiples rameaux.
Paradoxalement l’institutionnalisation des communautés est fruit de la modernité. C’est sous le mandat français qu’ont été « reconnues » officiellement les 17 communautés historiques dont 7 (cf. ci-dessus) sont significativement importantes pour l’histoire. ( 1926, article 95 de la constitution. Les arrêtés du haut commissaire français de 1936 et 38 institutionnalisent la notion de communauté historique. Le communautarisme sera aggravé en 1967 par une loi sur l’organisation de la communauté chiite. Egalement par les accords de Taïef 1989.)
L’ordre communautaire est à la base de l’ordre public et politique libanais. (Statut personnel communautaire. Le statut civil est optionnel)

L’histoire du « Liban » du 17°s au 20°s se lit à travers l’effondrement (progressif) de l’empire ottoman. C’est l’Empire qui tenait les communautés par une gestion décentralisée. Et l’histoire qui passe du féodalisme au communautarisme confessionnel est celle des grandes familles, des clans, des féodaux. Pendant ces siècles l’émergence du Liban moderne sera intellectuellement « maronite », militairement et politiquement « druze ». Le Liban devint une province autonome de l’empire en 1861. La lente agonie de l’Empire laissera les puissances européennes se livrer à leur luttes favorites d’influences « coloniales » pour dominer le proche orient. Ce que l’on nommera dans les livres la question d’Orient. Le Liban est un « pur » produit de la succession de l’empire ottoman. « Jusqu’à la fin de l’empire ottoman, ce sont les chefs des grandes familles de la montagne libanaise (chiites, druzes et maronites) qui ont successivement joué un rôle politique éminent. Les familles appartenant aux autres communautés en particulier les sunnites et grecs orthodoxes, vivant dans les villes côtières, ne deviendront des acteurs politiques que lors de la constitution du Grand Liban par la France en 1920, réunissant la Montagne et la côte. »
Le Liban moderne, ou Grand Liban, par le rattachement de la Ville à la Montagne, est le fruit du mandat français (1920 –1943) Le mandat a très profondément marqué, fabriqué, édifié le Liban moderne.
Au total le Liban émerge de l’empire ottoman comme le résultat de ses luttes claniques et comme le laboratoire des rivalités des puissances internationales et régionales, notamment l’affrontement de l’Angleterre et de la France pendant tout le 19°s. Au dépeçage de l’Empire au traité de Sèvres (1920) à l’Angleterre furent confiés les mandats sur la Transjordanie, l’Irak et la Palestine et à la France les mandats sur le Liban et la Syrie. Fin du Sultanat – naissance de la Turquie. (confirmés par la SDN en 1922.Traité de Lausanne) L’histoire a « institué » le Liban en Etat tampon !
Du fait de cette histoire tumultueuse et compliquée la construction étatique du Liban a été et reste une équation quasi impossible.

Un état encore « en devenir ».

La République libanaise née en 1926 acquiert son « indépendance » par la fin du mandat en 1943.
Mais elle reste à la recherche d’une « introuvable » et véritable souveraineté.

Le régime politique institutionnel (constitution de 1926) reste très inspiré des institutions françaises de 1875. Une république parlementaire monocamérale. Un président de la république et un conseil des ministres avec à sa tête le Premier ministre. Selon la coutume « communautariste » la répartition des sièges à l’Assemblée, la répartition des hautes fonctions politiques, militaires, administratives se font en fonction des communautés et entre les notables de ces confessions. Le Pacte National, entre chrétiens et musulmans, de 1943 consacre le Grand Liban et consacre ce régime « communautariste ». Aux chrétiens la Présidence de la République. Aux Sunnites le poste de Premier ministre et la Présidence de la Chambre de députés aux grands féodaux Chiites.
Si l’Empire ottoman était « l’homme malade » au 19°s, le Liban poursuit cette tradition en demeurant l’homme malade du XX°s.

Tout au long du XX°s le Liban restera en quête d’une véritable indépendance et souveraineté en trois grandes périodes poursuivant et aggravant l’imbroglio des siècles passés.

De 1943 à 1975 sur fond de guerre froide et de panarabisme nassérien, la guerre des clans va de blocages en blocages amener le Liban au bord de l’éclatement et du gouffre. Ce sera la période des clientélismes et le triomphe des « fromagistes ». Malgré la crise de 1958 la période 53 – 73 sera une période de prospérité, notamment due au « chéhabisme » tentative de dépassement du régime communautaire (pacte national) et réformes économiques. Les accords du Caire (1969) légalisant la présence de l’armée palestinienne dans le pays accéléreront l’éclatement des violences communautaires et l’effondrement dans le chaos.

Une « terrible » guerre civile va ravager le Liban de 1975 à 1990. Pendant 15 ans le Liban va être mis à feu et à sang, être mis à sacs et réduit en coupes réglées.
La guerre des clans va faire rage. Une lutte sans merci des chefs pour le pouvoir va nier le pouvoir étatique et finalement désintégrer l’Etat. Cette guerre civile d’une violence inouïe ne sera pas qu’une guerre inter-communautaire mais tout aussi, tout autant, intra-communautaire. Elle interdit donc de voir les crises libanaises seulement comme des affrontements entre chrétiens et musulmans. Un véritable système milicien est mis en place. Les massacres « gratuits » des milices, tant musulmanes que chrétiennes, sont autant de sous-guerres sans motifs reconnaissables. Toutes les milices seront financées abondamment par les puissances externes, favorisant des renversements d’alliances surprenants. Dans le même temps va se développer un intégrisme islamique ravageur accentuant le choix sioniste de la ségrégation territoriale, religieuse et communautaire.
Dans un Liban tantôt occupé par l’OLP, ou occupé par Israël(1982) ou bien encore par la Syrie, les puissances externes, internationales ou régionales vont s’en donner à cœur joie pour exercer leurs rivalités, asseoir leurs tentatives hégémoniques sur le Moyen-Orient. Vont s’enchevêtrer les conflits Est/Ouest au conflit majeur Israélo-palestinien, l’axe Syro-Iranien à celui des états pétroliers arabes menés par l’Arabie saoudite. On verra alors le retour des Etats Unis sur la scène libanaise et l’ONU dépêcher une force d’interposition ; la FINUL en 1982.
Les accords de Taïef signés en Arabie ( !) en octobre 1989 sembleront mettre fin à cette guerre civile. Mais en réalité se sera la guerre du Golfe, (1990) qui met fin à la crise. Les accords de Taïef renforcent une fois de plus le communautarisme. Ils octroient à la Syrie un protectorat déguisé sur le Liban. La Syrie est ainsi récompensée de son attitude face à la guerre du Golfe.

La deuxième (ou troisième République, selon que l’on compte le mandat français) naît à la modification de la constitution, intégrant les accords de Taëf, (1989) et conduit le Liban jusqu’à l’assassinat de Rafic Hariri. (2005). La période est celle de l’après guerre froide. (chute du mur de Berlin 1989) et après la 1ere guerre du Golfe. En vérité cette deuxième République est celle du règne de Rafic Hariri. Après « une irrésistible ascension » dans le monde des affaires, figurant parmi les hommes les plus riches du monde, Rafic Hariri va se rendre maître et quasi « propriétaire » du Liban Ce protégé du Président Hraoui, Rafic Hariri, Premier ministre Sunnite, va être considéré comme le bienfaiteur du Liban. Il va régner sans partage, à l’exception de l’intermède d’un gouvernement El Ross aux réformes avortées (1999 – 2000) de 1992 à 1998 et de 2000 à sa mort en 2005. L’irrésistible Hariri est l’ami intime, « l’ami de toujours », de Jacques Chirac. Il est le chéri de l’axe américano-français. Appuyé sans restriction par l’Arabie Saoudite. Considéré comme un pro-occidental modéré il devrait faire reculer l’influence chiite. (Hezbollah) Il n’est pas sans appui dans la nomenklatura syrienne. Etoile de la jet society, le milliardaire rallie les enrichis de la guerre, les enrichis des milices, les bourgeois affairistes enrichis. L’affairisme prend le pouvoir. L’argent commande tout. L’ultra-libéralisme se déchaîne. Seule la réussite personnelle vaut. L’Etat est une nuisance. C’est la République des scandales et de la gabegie. La République du béton engendre « un génocide architectural » dans Beyrouth. La fièvre immobilière fait de Beyrouth un « Dallas sur Mer ». Vive l’Argent ! Enrichissez-vous que diable !
Le bilan économique est plus que controversé. L’inflation ne profite qu’aux riches.
Le bilan démocratique est désastreux. Délabrement de l’Etat. étouffement des libertés publiques essentielles. Blocage des institutions. Effacement de l’opposition. Sauf celle du Hezbollah. Effondrement politique des chrétiens. Protectorat syrien. Le Liban ressemble à une république bananière dans les serres syriennes.
Deux grands points positifs sont à mettre au bénéfice de cette période « Hariri ». Retour à l’ordre et rétablissement de la sécurité, par le désarmement des milices, d’une part. Et d’autre part libération du Sud-Liban, où règne le Hezbollah, de l’occupation israélienne, sans condition. (24/05/2000)
La fin de la période s’amorce par un revirement syrien dès 2000, par l’après-attentats du 11/09/2001 et par la guerre en Irak 2003. Mais c’est « le coup de tonnerre » de la résolution 1559 qui siffle la fin de la partie.

La résolution 1559 de l’ONU du 2/09/2004 annonce et provoque le retour à « l’Etat tampon ». Cette résolution 1559, œuvre de Jacques Chirac, va déstabiliser une fois de plus le Liban. Elle contribue au rapprochement franco-américain et fait diversion aux dérapages sur l’Irak. Cette résolution onusienne demande la non-prolongation du mandat du Président Lahoud, le retrait des troupes syriennes du Liban, le déploiement de l’armée libanaise au Sud-Liban le long de la frontière israélienne, le désarmement des camps palestiniens et la démilitarisation du Hezbollah !
Cette résolution « révolutionnaire » tend à mettre fin au « protectorat » syrien sur le Liban et s’efforce à redonner la main à l’axe franco-américain au moyen orient. Elle appuie la politique américaine dite de « l’instabilité constructive » prônée par les néo-conservateurs « bushistes » pour imposer la « démocratie » au moyen orient.
La stabilité « syrienne » (axe syro-iranien) est totalement remise en cause. La tempête peut se lever à nouveau sur le Liban et dans le Liban.
L’assassinat de Rafic Hariri du14 février 2005 (non encore totalement élucidé) ouvre une nouvelle période d’instabilité. L’onde de choc qu’il provoque accélère le retrait de la Syrie du Liban et renforce paradoxalement le Hezbollah.

La guerre d’Israël contre le Hezbollah, de l’été 2006 (12/07 – 14/08) est la preuve que le Liban est redevenu un champ de bataille, un état-tampon pour les « puissances » qui lui sont extrinsèques. Un champ non-clos de leurs affrontements, toujours recommencés.

L’avenir du Liban au XXI° s reste toujours aussi problématique.

Tout recommence : Reconstruction, attentats, communautarisme, tutelle …
Il reste les interrogations – (de toujours ?)

  1. Quelle puissance « impériale » va couvrir de son ombre protectrice le Liban ? Condominium Franco-américain ? Tutelle arabo-saoudienne ? Protectorat syro-iranien ? Et que dit ou dira, l’Europe ? Que dira l’ONU ? Que fera la FINUL « renforcée » ? Que deviendra le Hezbollah « victorieux » ?
  2. Qui et comment va sortir le Liban de son « destin » d’Etat tampon ? Et d’aire de jeux des intérêts internationaux et régionaux ? N’est-il pas aux carrefours des axes : Syrie-Iran / Arabo-pétroliers ; USA / Irak ; Israël / Palestine.
  3. Quand va cesser de peser « l’épée de Damoclès » du conflit israëlo-palestinien suspendue au-dessus du Liban et clef de voûte de l’instabilité au moyen orient ?
  4. Qui et comment va faire sortir le Liban de son carcan et impasse « communautariste » ?
  5. Quand le Liban, - Etat impossible, Etat improbable, Etat introuvable, - va-t-il devenir un Etat « souverain » ?

Le Liban est encore à reconstruire, à construire, à inventer. « La question d’Orient » reste la question piège.