Rappel à l'ordre

Pierre Assouline dans le Monde2 rapporte, dans sa rubrique juste un détail l'aventure suivante :

L'écrivaine Gabrielle Rolin a récemment été verbalisé sur la voie publique parisienne pour “circulaton irrégulière d'un piéton sur la chaussée ''.
L'absurdie, c'est ici.

Rappel à l'ordre

L'écrivaine Gabrielle Rolin a récemment été verbalisé sur la voie publique parisienne pour “circulaton irrégulière d'un piéton sur la chaussée ''. L'absurdie, c'est ici.

Certains gestes de la vie quotidienne peuvent coûter cher. Parfois, ce n'est pas le montant qui importe mais la sanction. Elle peut se traduire par le mépris, sinon par l'humiliation et son cortège de hontes.
Ainsi l'aventure survenue l'autre jour à Gabrielle Rolin : elle est écrivaine, traductrice de Henry James, Edith Wharton et Flannery O'Connor (et tout récemment encore de La Traversée de l'été de Truman Capote), elle vit dans un immeuble de l'avenue du Maine à Montpamasse depuis plus de trente ans, elle est née en 1927, c'est une amie, c'est d'ailleurs elle qui m'a confié sa mésaventure.
Le 2 novembre, sur le coup de 17 h 30, comme elle vient juste de descendre de chez elle, elle traverse l'avenue quand, à mi-chemin, elle ralentit sa course, victime d'un point de côté.
Il faut dire que, il y a moins d'un an, elle a été opérée à cœur ouvert à l'hôpital Pompidou, changement de valvule et compagnie ; de temps en temps, soudainement à bout de souffle elle doit marquer le pas.
La circulation est très faible. Une voiture de police s'arrête à sa hauteur. A son bord un tout jeune policier plutôt timide au volant ; à son côté, une policière d'une cinquantaine d'années d'allure peu commode. “Vos papiers !” Gabrielle Rolin espérait un bras secourable pour l'aider, au lieu de quoi elle obtient un aboiement. Interloquée, elle s'exécute. Le jeune gardien portugais de son immeuble, prévoyant un malaise, lui apporte une chaise. “Vous permettez, madame l'agent ?” “Vous restez debout !” Elle ne comprend rien de ce qui lui arrive, sa douleur au cœur s'intensifie, son point de côté la fait souffrir, elle tousse, il fait froid. “Maisje ne gênais personne. . . “ La policière remplit une contravention sur laquelle la délinquante au cœur fragile peut lire “Circulation irrégulière d'un piéton sur la chaussée en présence d'un trottoir normalement praticable.” Suivent l'évocation de l'article R 412-34 du code de la route et sa répression par l'article R 412-43 du même roman d'aventures. Puis elle lui tend le procès-verbal : “ça vous coûte 4 euros.” Gabrielle Rolin est si troublée qu'elle fouille dans son sac pour lui donner deux pièces : “Mais non, vous paierez par chèque. Et si ce n 'est pas fait dans les 45 jours, ce sera majoré à 7 euros forfaitairement. Vous avez compris ?” Elle explique qu'elle est cardiaque, qu'elle habite juste là, rien à faire. Le jeune policier tente d'intercéder en sa faveur, il est aussitôt rabroué par sa supérieure : “Tu ne te rends pas compte ! Les bonnes femmes comme ça, il y en a que trop à Paris.” Et se tournant vers la délinquante aux cheveux blancs et au sourire en détresse : “Vous gênez la circulation ! Des gens comme vous feraient mieux de ne pas sortir de chez eux !” Et la voiture de police s'en va.
Clouée dans l'instant, Gabrielle a repris ses esprits depuis.
Elle a songé à intenter un procès pour le souverain plaisir de verser ses dommages et intérêts aux oeuvres de la police. Ou à la SPA en cas de refus. “C'est vrai qu'on est beaucoup dans ce cas-là mais un peu d'humanité, tout de même. Au fond, je regrette qu'ayant découvert ma nationalité belge sur mes papiers, elle ne m 'ait pas conseillé de retourner chez moi. D'autres n 'ont pas ma chance.” A propos, son denier recueil de nouvelles s'intitule Rappels à l'ordre.