Scandale à la Défense ou la république des copains

mhl le souligne par écrit : SCANDALE

Les petits arrangements entre amis du ministre candidat UMP, également président du conseil général des Hauts de Seine...

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Vu sur le site de François Brottes

le compte rendu de la séance du 6 février 2007 à l'Assemblée nationale

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Proposition de loi portant création d'un établissement public de gestion des équipements publics du quartier d'affaires dit de " La Défense " (Deuxième séance du mardi 6 février 2007)

Discussion générale

M. François Brottes . Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, manquant d'une connaissance fine du texte, je me suis abstenu lors de sa présentation en commission. Mal m'en a pris – le poids d'une jambe dans le plâtre a peut-être nui à ma lucidité et à ma réactivité. Mais j'ai retrouvé aujourd'hui toute ma capacité de dénoncer ce que j'ose appeler une véritable supercherie.

La proposition de loi issue de la majorité sénatoriale dont nous débutons la discussion est en effet un véritable scandale juridique et politique, un symbole de la République clientéliste, celle qui fabrique des lois sur mesure pour les amis, au nom de la « gouvernance obsolète » que vous venez d'évoquer, monsieur le maire. Que deviendra l'établissement public d'aménagement ? Quelles seront les missions de l'établissement public de gestion ? Quelles seront les relations entre l'un et l'autre ? Le texte ouvre un vaste champ de possibilités en la matière.

Pourquoi une telle précipitation à mettre en place, dans les deux mois suivant le vote de ce texte, un nouveau dispositif « abracadabrantesque », alors qu'on aurait pu simplement autoriser chacune des communes concernées, dont les vôtres, chers collègues, à conduire une opération d'intérêt national sur son territoire ?

Disons le tout net : cette proposition de loi tire prétexte de la nécessité de relancer le quartier d'affaire de La Défense pour pérenniser un état de fait, à savoir les erreurs et l'iniquité qui entachent la gestion de ce quartier d'affaires, au bénéfice de certaines collectivités, dont le département des Hauts-de-Seine, présidé – faut-il le rappeler ? – par M. Sarkozy, au prix de graves dérogations aux règles essentielles du droit constitutionnel et parlementaire, du droit des collectivités locales et du droit de l'urbanisme – rien que ça ! – et au terme d'un incroyable parcours rendu possible par la confusion des rôles et des pouvoirs que concentre en ses mains celui qui est tout à la fois ministre et numéro deux du Gouvernement, président de l'UMP et président du conseil général des Hauts-de-Seine – le souffle me manque !

Permettez-moi de commencer par ce point. Présenté comme une simple adaptation technique aux problèmes soulevés par l'évolution du quartier de La Défense, géré par un établissement public que présidait le même Nicolas Sarkozy jusqu'en juillet dernier, ce texte a été largement préparé par et pour le président du conseil général des Hauts-de-Seine. Vous nous l'avez d'ailleurs avoué vous-même, monsieur Ollier !

M. Jean-Jacques Guillet . Il n'a pas l'intention de le rester.

M. François Brottes . On ne sait jamais !

Ce texte a en fait deux objectifs principaux.

Il s'agit d'abord de récompenser deux communes UMP amies, Puteaux et Courbevoie, en leur permettant de continuer à percevoir les recettes fiscales générées par La Défense, sans participer aux dépenses d'entretien, imputées quant à elles à l'établissement public d'aménagement de La Défense.

Son second objectif est d'assurer à ces deux communes, associées au conseil général des Hauts-de-Seine, la mainmise sur la gestion de ce site à travers le nouvel EPIC qui exclue totalement le conseil régional d'Île-de-France, dont le grand tort est de ne pas être dirigé par des amis de M. Sarkozy. Je pourrais également citer, après ma collègue Jacqueline Fraysse, le cas de la ville de Nanterre.

L'objectif affiché – à savoir l'intérêt général bien compris, consistant à redynamiser un atout économique dont je reconnais l'importance majeure non seulement pour Paris et l'Île-de-France, mais également pour l'ensemble du pays – peut certes paraître séduisant et susciter l'abstention ou l'adhésion. Cependant, si tel était réellement l'objectif recherché, pourquoi le Gouvernement ne s'en est-il pas soucié en déposant lui-même un projet de loi ?

Tout simplement parce que l'objectif est autre et que le dépôt d'un projet de loi aurait nécessité le passage sous les fourches caudines du Conseil d'État, qui n'aurait certainement pas épargné toutes les dérogations que comporte ce texte aux règles de gestion des ouvrages, des espaces publics et des services d'intérêt général, ou à celles de la domanialité publique et du droit de l'urbanisme.

J'en viens ainsi à la deuxième illustration du « petit arrangement entre amis » qu'a évoqué Mme Fraysse : M. le ministre Sarkozy, comprenant bien qu'un projet de loi, véhicule classique d'une telle réforme, était voué à l'échec, l'a fait porter par son ami le sénateur Karoutchi – par ailleurs chargé, me semble-t-il, de l'organisation de son atelier de campagne, ce qui n'a bien sûr rien à voir – sous la forme d'une proposition de loi déposée le 20 décembre dernier, soit à Noël. Ayant coiffé au préalable sa casquette de numéro deux du Gouvernement, il avait également fait adopter un premier volet de son plan dans la loi de finances rectificative en exonérant de la redevance la création de bureaux dans le quartier de La Défense – c'était du moins l'intention initiale, qui précédait une extension de la mesure à toute l'Île-de-France –, privant au passage la région d'environ 40 millions d'euros de recettes alors même que des programmes particulièrement ambitieux doivent être menés pour toute l'Île-de-France au titre du développement des transports collectifs et de la politique du logement.

Toutes affaires cessantes, une semaine après la reprise des travaux parlementaires de janvier et en toute fin de législature, le Sénat a adopté cette proposition de loi, après un invraisemblable tour de passe-passe entre la majorité UMP et le Gouvernement, représenté par M. le ministre Hortefeux.

En effet, je le rappelle, les articles 2 à 9 de cette proposition de loi tombant sous le coup de l'article 40 de la Constitution – raison pour laquelle ils auraient dû être intégrés dans un projet de loi, et non dans une proposition de loi – ont été supprimés en commission pour être, comme par hasard, immédiatement réintroduits par M. Hortefeux sous forme d'amendement du Gouvernement.

Monsieur le ministre, chacun a le droit d'avoir des amis de talent et je tiens à saluer ce travail d'artiste législatif. Vous pourrez transmettre mes félicitations à M. Hortefeux.

Enfin, malgré l'encombrement de nos travaux à deux semaines de leur interruption, cette proposition de loi est inscrite à l'ordre du jour prioritaire de notre assemblée, où la majorité UMP, dans un nouvel exercice de dévotion à l'égard de son président – celui de l'UMP, bien sûr – s'apprête à la voter dans l'urgence et à la voter conforme, à l'invitation de M. Ollier. À Sarkoland, la passion autorise tous les sacrifices !

Combien nous aurions aimé, chers collègues, être témoins d'un tel zèle sur des textes en souffrance, comme ceux qui portent sur les OGM ou sur les actions de groupe – les class actions – et qui resteront finalement dans les tiroirs d'une législature finissante !

M. Philippe Pemezec . Ça n'a rien à voir !

M. François Brottes . Avant que l'on éteigne les lumières de l'hémicycle et que l'on coupe les micros, je tiens à dire que la forme et le fond de cette proposition de loi auraient mérité un autre traitement que celui-ci – je le répète : oubli des règles essentielles de la recevabilité financière, contournement de la procédure parlementaire, dérogation au principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales. En effet, la gestion du quartier sera réservée à une structure pilotée par le conseil général des Hauts-de-Seine et les communes de Puteaux et de Courbevoie. Ce modus vivendi ainsi défini va à l'encontre de ce qui pourrait découler des schémas directeurs d'aménagement déterminés à un autre niveau plus large et, singulièrement, du schéma directeur de la région Île-de-France.

Ainsi, cette proposition de loi, qui va de pair avec l'exonération du secteur de La Défense des contraintes générées par l'esprit du schéma directeur, est contraire à l'objectif de rééquilibrage des activités tertiaires à l'Est et au Nord de l'Île-de-France défini entre l'État et la région.

En outre, et ce n'est pas la moindre des critiques, le conseil régional d'Île-de-France n'a pas davantage été consulté – et pour cause ! – sur la création de ce nouvel établissement public que lorsqu'il s'est agi de lui faire subir l'exonération de la redevance sur les bureaux.

Enfin, ce texte piétine allègrement les règles essentielles du droit de l'urbanisme et de l'objectif politique affiché de création de logements.

M. Patrick Ollier , rapporteur . Vous n'avez pas lu le texte ! Vous ne pouvez pas dire ça !

M. François Brottes . Mais si, monsieur Ollier, et je vous indiquerai les articles pertinents !

Le dispositif dérogatoire aux règles d'urbanisme sur le périmètre de cette opération d'intérêt national accroît le déséquilibre entre l'habitat et l'emploi et contredit ainsi la qualification en opération d'intérêt national, au regard notamment des objectifs fixés par les articles L. 110 et L. 121-1 du code de l'urbanisme.

Or le rééquilibrage au profit du logement sur le site ou à proximité immédiate est une nécessité, sous peine d'accroître aussi les problèmes d'accès et de transport déjà importants dans la situation actuelle.

En exonérant d'agrément les opérations de démolition-reconstruction, vous travestissez les règles d'urbanisme. En assimilant la construction de bureaux, généralement très rentable pour les promoteurs, à la construction de lycées ou d'infrastructures de transport, qui sont des opérations d'intérêt public sans but lucratif, vous qualifiez d'utilité publique des opérations qui ne le sont pas et ne mettez pas en œuvre, en contrepartie, les logements nécessaires, puisque ce plan de relance ne vise la construction que de 1 400 logements pour 40 000 emplois, au moment même où, des trémolos dans la voix, vous découvrez le droit opposable au logement après l'avoir combattu à maintes reprises lorsque nous le proposions – souvenez-vous en, monsieur le président de la commission.

En fait, vous instaurez avec ce texte, dans les Hauts-de-Seine, le droit opposé au logement !

M. Philippe Pemezec . N'importe quoi !

M. François Brottes . Certes, le droit n'est pas une fin, mais un instrument. Cependant, en décrétant l'utilité publique pour de telles opérations qui ne correspondent manifestement pas à la théorie du bilan développée par le Conseil d'État, que vous avez si savamment évité, et en contournant la procédure législative d'initiative gouvernementale au profit d'intérêts purement localistes, vous montrez bien que les scrupules ne vous embarrassent guère. Voilà qui serait prometteur pour la suite, si du moins les Français croyaient en vos belles promesses de transparence et décidaient de vous laisser continuer – ce que, personnellement, je ne souhaite pas.

Le groupe socialiste, vous l'avez compris,…

M. Patrick Ollier , rapporteur . Où est-il, le groupe socialiste ? Vous êtes tout seul, monsieur Brottes !

M. François Brottes . …ne se prêtera pas à une telle complaisance à l'égard d'intérêts circonscrits aux quartiers d'un ministre qui est aussi président de conseil général.

Peut-être rêve-t-on, lorsqu'on est porté par l'appel du viaduc de Millau, de réaliser à Neuilly le tunnel routier le plus cher de France, mais vous aviez ici le devoir, sur un sujet majeur d'aménagement du territoire, d'organiser un débat sérieux et serein, en y associant tous les acteurs et toutes les parties prenantes.

On ne peut se prévaloir de redynamiser un territoire, même si le besoin est réel, en excluant le conseil régional, en favorisant la spéculation immobilière, en aggravant le déficit de logements et en supprimant les recettes nécessaires à l'amélioration des transports en commun.

Nous voterons contre cette mascarade clientéliste, contre ce déni des valeurs républicaines, contre un texte qui méprise la démarche concertée d'élaboration du schéma directeur de la région Île-de-France.

M. le président. Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(L'ensemble de la proposition de loi est adopté.)

Pour lire l'intégralité des débats :

Proposition de loi de M. Roger KAROUTCHI portant création d'un établissement public de gestion des équipements publics du quartier d'affaires dit de " La Défense ", n° 140, déposée le 20 décembre 2006

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L'article du Monde
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Il est des textes législatifs qui bénéficient d'une inhabituelle célérité. Ainsi en est-il de la proposition de loi créant un établissement public de gestion du quartier de la Défense (Hauts-de-Seine). Déposée le 20 décembre 2006 au Sénat par Roger Karoutchi, sénateur (UMP) des Hauts-de-Seine, elle y a été adoptée le 18 janvier en première lecture. Et a pu être inscrite en urgence à l'Assemblée nationale pour y être votée, mardi 6 février, par les seuls députés de l'UMP. Un parcours fulgurant pour ce qui apparaît comme un cadeau offert au département des Hauts-de-Seine et à son président, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, président du conseil d'administration de l'Etablissement pour l'aménagement de la Défense (EPAD) jusqu'en décembre 2006, ainsi qu'aux deux communes de Puteaux et de Courbevoie, dirigées par l'UMP.

Cette situation a été dénoncée par François Brottes (PS, Isère) comme "un scandale juridique et politique", tandis que Jacqueline Fraysse (PCF, Hauts-de-Seine), ancienne maire de Nanterre, parlait d' "arrangements entre amis". Le ministre de l'équipement et des transports, Dominique Perben a apporté le soutien du gouvernement au texte. Lequel, a-t-il expliqué, présente un "intérêt national". Dès lors, il aurait pu faire l'objet d'un projet de loi déposé par le gouvernement. Mais cela aurait nécessité de solliciter l'avis du Conseil d'Etat. C'est donc M. Karoutchi qui s'est chargé de déposer une proposition de loi. Certaines de ses dispositions contrevenaient à l'article 40 de la Constitution qui interdit aux parlementaires de formuler des propositions ayant pour conséquence d'aggraver la dépense publique. Supprimées en commission au Sénat, elles ont été réintroduites par voie d'amendements du gouvernement.

Avec ce texte, grâce au nouvel établissement public qui se substitue à l'EPAD, le département des Hauts-de-Seine prend le contrôle de la gestion du site, tandis que Puteaux et Courbevoie continuent de percevoir les recettes fiscales engendrées par la Défense sans avoir à en supporter les dépenses d'entretien. Le conseil régional d'Ile-de-France ainsi que la municipalité de Nanterre, pourtant concernés, sont exclus du dispositif.

Celui-ci établit pour la Défense un statut dérogatoire, dispensant l'établissement de gestion des procédures d'agrément pour les opérations de démolition-construction. Ce sont 300 000 mètres carrés de bureaux dans des tours neuves dont la construction est envisagée d'ici à 2 013. Le "plan de renouveau pour la Défense" approuvé, le 21 décembre 2006, par le conseil d'administration de l'EPAD prévoit l'accueil de 40 000 emplois du tertiaire et la construction de 1 400 logements. Le texte adopté favorise ainsi la concentration de bureaux dans le quartier de la Défense. En offrant des conditions dérogatoires au seul département des Hauts-de-Seine, il contourne tous les objectifs de rééquilibrage du schéma directeur de la région d'Ile-de-France. Patrick Roger