Forum de la rénovation : comment refonder l’école républicaine ?

Forum de la rénovation

animé par Henri WEBER et Alain BERGOUNIOUX

Le jeudi 27 septembre 2007

Le débat continue : forumsdelarenovation.parti-socialiste.fr

Alain BERGOUNIOUX rappelle que cette rencontre s’inscrit dans une série de forums thématiques de la rénovation. Des thèmes essentiels doivent être abordés dans un cadre de totale liberté. Il s’agit de poser des diagnostics et de pratiquer l’inventaire de ce que représentent la gauche et les socialistes sur ces questions majeures.

Le thème de ce soir est ambitieux. La thématique renvoie à des promesses d’égalité, de démocratisation mais aussi à la prise en compte de difficultés rencontrées par notre système éducatif. En outre, il n’est pas question d’occulter des critiques qui se font jour vis à vis de la démocratisation ni d’écarter d’un revers de main les remises en cause et la logique d’individualisation à l’œuvre. Nous devons affronter un débat permanent qui porte notamment deux types de critiques : la critique élitiste et la démarche « malthusienne ». Face à cette situation, il nous appartient également de montrer les atouts du système et de préciser le contour des éléments à rénover. Nous avons invité ce soir deux personnalités reconnues pour leurs compétences en la matière mais aussi pour leur expérience, Christian FORESTIER et Eric MAURIN.

Christian FORESTIER critique tout d’abord l’intitulé même de la soirée. Pour lui, en effet, l’école républicaine existe bien aujourd’hui. En outre, il revient sur l’opposition récurrente entre républicains et pédagogues, sachant que ceux qui se réclament républicains développent très souvent une vision de l’école, qui n’est pas la nôtre.

Il remarque que les premières salves de critiques contre l’école publique sont intervenues en 1983, au début de la guerre scolaire, et à un moment où débutait le processus de massification de l’école secondaire. En fait, dès cette époque, un certain nombre de gens entendent se mettre en travers de l’école.

Pour autant, la gauche et les socialistes ne sauraient s’exonérer de toutes responsabilités sur l’état de l’école aujourd’hui. Cette remarque ne peut néanmoins nous conduire à considérer l’école publique comme un champ de ruine. Nous avons l’une des meilleures écoles du monde pour environ la moitié des élèves. En revanche, des problèmes sérieux perdurent vis à vis de ceux qui ont du mal à « rentrer dans le moule ».

Christian Forestier énonce ensuite les compétences que l’école doit pouvoir permettre d’acquérir. Il s’agit de la maîtrise de la langue maternelle, du calcul, et d’une certaine forme de culture scientifique. Aujourd’hui, notre école se situe dans une bonne moyenne au plan international. Nous sommes certes devancés, dans beaucoup de domaines, par des pays à faible démographie et en particulier les pays scandinaves. En revanche, nous sommes très nettement devant la plupart des grands pays, à l’exception du Japon qui nous devance assez largement.

Parmi les enfants de 15 ans, la France recense trois « paquets » : les élèves qui réussissent globalement, normalement et se retrouvent donc en classe de seconde à cet âge ; ils sont à peu près 50 % des effectifs.

Il y a par ailleurs celles et ceux qui connaissent un léger retard, toujours au même âge, et se retrouvent donc en classe de troisième. Ils représentent environ un petit tiers des effectifs. Enfin, il existe 15 à 20 % d’élèves de 15 ans qui possèdent au moins deux années de retard ; ils connaissent un échec lourd.

Pour les 50 % qui se situent dans la normale, le niveau atteint est en général nettement supérieur à celui reconnu dans les autres pays comparables. Parmi ceux qui subissent un échec lourd -2 ans de retard à 15 ans- il faut bien constater un réel décrochage, y compris au regard des performances obtenues par ce type d’élèves dans les autres pays. Enfin, pour le paquet intermédiaire, le niveau observé laisse également à désirer en termes de comparaison internationale.

Dans ces conditions, le premier problème posé concerne la population d’élèves qui se situe ni en réussite, ni en échec lourd. A noter que les trois populations d’enfants se retrouvent dans la même configuration, quel que soit le moment du cursus scolaire, c’est à dire du cours préparatoire à la fin du collège unique. En outre, les populations subissant l’échec lourd sont essentiellement issues de familles pauvres.

Eric MAURIN s’interroge tout d’abord sur l’opportunité du redoublement en école primaire et au collège. D’une manière générale, il estime que les problèmes ont été bien décrits par Christian Forestier. Il note que l’école publique rencontre aujourd’hui deux formes de critiques : la critique élitiste qui récuse le collège unique et la critique malthusienne qui considère globalement que l’évolution de notre économie n’a pas besoin d’autant de diplômés et rejette sur ces bases toute forme de volontarisme éducatif et démocratique. Il est important de mieux cerner le fondement de ces critiques.

Selon Eric Maurin, toutes les expériences pratiques réalisées en particulier dans les pays scandinaves, mais aussi en Grande Bretagne, dans des conditions un peu différentes, montrent le succès du collège unique. Celui-ci constitue un facteur incontestable d’amélioration des carrières professionnelles ultérieures des élèves concernés. A telle enseigne que les pays qui ont pour l’heure résisté à cette expérience de collège unique –l’Allemagne et l’Autriche notamment- se posent la question de son adoption.

La France pour sa part est passée très progressivement -30 ans environ- et de manière hybride au collège unique. Il est normal dans ces conditions que les résultats apparaissent moins nets et plus contrastés.

La deuxième critique est de nature « malthusienne ». Les porteurs de cette école estiment que l’élévation du niveau de formation n’est pas nécessaire. Ils s’appuient sur le taux de chômage anormalement élevé dans notre pays chez les 16-25 ans, pour tenter de démontrer la pertinence de leur approche. En fait, le taux de chômage chez les 16-25 ans, anormal il est vrai, ne représente pas un indicateur adapté pour mesurer les bienfaits réels de la démocratisation scolaire et notamment du collège. En effet, la situation des jeunes vis à vis du marché du travail était déjà très dégradée avant même l’enclenchement de la démocratisation scolaire, qui remonte au début des années 80.

Eric Maurin confirme que la démocratisation scolaire et notamment du collège a bien été favorable aux résultats, en particulier professionnels ultérieurs, des élèves concernés. L’objectif volontariste affiché depuis près de 30 ans, correspond finalement à un bon bilan d’ensemble dont nous n’avons pas à rougir. En outre, les entreprises se régénèrent très vite chaque année. Cette régénérescence s’accompagne naturellement d’une évolution rapide des emplois. Dans ce contexte, la prime à la main d’œuvre très formée apparaît chaque jour davantage.

Christian FORESTIER estime que nous avons raison de chercher à augmenter sans cesse le niveau de qualification des jeunes. Il n’y a pas trop de diplômes en France. A noter d’ailleurs que sur des expériences menées pendant 7 années, le taux de chômage, pour ceux qui ont suivi avec succès des études supérieures, n’existe plus. Il reste en revanche anormalement élevé pour tous ceux et toutes celles qui sortent du système de formation sans diplôme voire sans aucune qualification.

Alain BERGOUNIOUX observe qu’en France, la politique de démocratisation n’a pas su empêcher la persistance d’une vraie ségrégation. Il nous faut donc innover afin de faire progresser la justice. Dans ces conditions, il nous faut au maximum favoriser les leviers de la démocratisation. Tout le débat réside dans les moyens et les modalités.

François BEAUJEU pose cinq questions : quelle place accordée à la spécificité démographique française dans le développement de l’école ? quid de la carte scolaire et de son évolution ? que penser des expériences en cours à Sciences Po ou à l’ESSEC pour faire bouger l’université ? quelle réaction envisager vis à vis de la proposition consistant à demander aux étudiants une fois intégrés dans la vie professionnelle, de rembourser leurs frais de scolarité ? que penser de la préconisation de Patrick Weil visant à permettre à 10 % parmi les meilleurs élèves des lycées, d’accéder aux classes préparatoires aux grandes écoles ?

Cécile MOUTTE se demande si le Parti socialiste considère toujours que la construction citoyenne de l’élève est un objectif essentiel pour l’école. Elle note que même parmi les 50 % des élèves qui réussissent normalement, il n’y a pas forcément d’épanouissement individuel au rendez-vous. Elle pose en outre deux questions : la lutte contre les inégalités doit elle « gommer » les différences ? qu’en est-il de notre projet de formation tout au long de la vie ?

Pierre ARNOULT s’inquiète du phénomène de « désaffection » pour les sciences. Il observe immédiatement que cette expression n’est pas très adaptée et correspond même à une mauvaise problématique. Pour autant, nous assistons depuis 1995 à un effondrement de l’attirance pour les études scientifiques après un bond en avant remarquable au cours de la période 1985-1995. Parmi les causes de cet affaissement, il recense les conséquences malencontreuses de la réforme de 1992. Sur un autre plan, il regrette la permanence et même l’aggravation de l’échec en premier cycle universitaire. Il s’inquiète de la faiblesse des propositions du parti sur ce point pendant la dernière campagne électorale.

Marie FENETTE approuve le principe et l’expérience du collège unique. Elle estime toutefois que sa pratique se heurte à d’importantes difficultés dans les quartiers difficiles de zones urbaines et sub-urbaines. Il y a donc une exigence de refondation républicaine de l’école. De ce point de vue, elle met en garde contre les stratégies de contournement de la carte scolaire, ce qui nécessite sans doute une révision de ses modalités d’application et de mise en œuvre.

Un militant du XVIIIème arrondissement confirme avec regret la segmentation continue des élèves à toutes les étapes du cursus scolaire. Ce constat le conduit à demander une réflexion d’urgence sur l’école maternelle et l’égalité d’accès à celle-ci.

Robert CHAPUIS relève que la démocratisation de l’école reste toujours à l’ordre du jour. L’école s’est réellement massifiée, mais ne s’est pas vraiment démocratisée. Il pose aussi la nécessité d’avancer vite, sur la formation tout au long de la vie au-delà des slogans. Il remarque que le collège unique constitue le premier degré vers le lycée, d’où un système sélectif récurrent. Pour lui, le collège doit être avant tout un lieu de formation pour les enfants d’aujourd’hui.

Yves DURAND estime que le collège dit unique est, en fait, tout sauf unique. Il y a encore beaucoup de choses à construire pour y parvenir. Par ailleurs, et pour répondre à un intervenant, il rappelle que le Bureau national d’une part et le projet socialiste d’autre part ont admis le principe de recours aux pré-recrutements.

Une intervenante du XVIIIème arrondissement confirme que le collège unique n’est pas démocratisé. Nous restons dans un système globalement filiarisé qui comporte d’importantes inégalités. Pour autant, parler de refondation républicaine lui semble plutôt excessif. Elle note enfin que notre taux de réussite au baccalauréat, par classe d’âge, reste assez modeste au regard des résultats comparés de l’Union européenne.

Christian FORESTIER approuve le propos d’Eric Maurin relatif au bilan du collège unique. Il y a bien dans tous les pays, qui l’ont pratiqué jusqu’au bout, un facteur de réussite. En France, nous n’avons pas été jusqu’au bout de la logique. Le Général de Gaulle dans les années 60 était favorable au processus. Georges Pompidou au début des années 70 s’est évertué à le bloquer. Valéry Giscard d’Estaing a assuré en 1975, à travers la réforme Haby, le redémarrage du processus visant à construire un collège unique. Pour autant, il a commis une grave erreur sémantique en évoquant fort imprudemment la notion de « savoir minimum ».

Par ailleurs, Christian Forestier dénonce le grand décalage que représente pour un enfant de 10 ou 11 ans la transition trop rapide du cours élémentaire deuxième année à la sixième, c’est à dire le passage en fait d’un seul maître au mois de juin, à 10 ou 12 maîtres au mois de septembre de la même année.

Sur un autre plan, il affirme que les 50 % d’élèves qui réussissent à peu près normalement ne sauraient représenter une élite. En outre, la priorité doit être absolument accordée aux 20 % qui pour l’heure sortent du système scolaire en situation d’échec lourd. En réponse à plusieurs intervenants, il rappelle que le premier objectif de l’école reste l’accession à un emploi et à un métier. Il confirme que l’objectif de 80 % d’une classe d’âge au niveau du Bac proclamé au milieu des années 80 avec notamment l’instauration des Bacs professionnels, n’est toujours pas atteint plus de 20 ans plus tard : nous en sommes toujours à environ 64 % d’une classe d’âge accédant à l’examen et non au diplôme. A propos de la carte scolaire, il entend éviter toute polémique inutile au regard des débats qui ont traversé récemment la gauche sur ce sujet. Pour autant, il estime qu’il y aura toujours nécessité de rationnaliser : à défaut, nous subirons une sélection des élèves par les établissements. Il n’ignore pas les défauts de la carte scolaire à commencer par celui du contournement. Il se déclare donc partisan en la matière, d’une forme de souplesse et de volontarisme.

Enfin, il se demande si la réussite du collège dépend uniquement des moyens mis en œuvre. Aujourd’hui, la variation des moyens dégagés selon les établissements est de 1 à 2. Ainsi, les collèges des quartiers difficiles de banlieues défavorisées comme la Seine-Saint-Denis reçoivent près du double des moyens accordés à certains collèges de centre ville. En clair, la question des moyens ne suffit pas à régler le problème. D’autant que depuis 1981 et l’enclenchement du processus du collège unique, les collèges des quartiers les plus difficiles ont toujours reçu davantage.

Eric MAURIN semble contester l’ampleur de cette disparité de moyens selon les collèges concernés.

Christian FORESTIER précise que la référence pour le mode de calcul vise le nombre d’élèves par classe, la classe étant l’unité de mesure incontournable.

Eric MAURIN pense que les ZEP, notamment, ont essentiellement bénéficié de saupoudrage. Les ZEP accueillent très souvent des enseignants peu expérimentés. Il y a d’ailleurs un échec relatif des ZEP.

Sur un autre plan, Eric Maurin évoque l’option « libérale » pour l’école. Celle-ci ne manque pas de cohérence mais conduit à une logique de concurrence entre équipes pédagogiques entre établissements. Elle a connu ses heures de gloire dans le Chili de Pinochet et aux USA sous Reagan. Le bilan de ces expériences grandeur nature reste peu convainquant. En fait « ça ne marche pas vraiment », et ce pour une raison simple ; les parents ne sont pas forcément en capacité d’identifier les établissements où les élèves progressent réellement. En fait, les établissements dans ce système accueillent essentiellement les élèves pré-disposés à réussir, mais ne leur permettent pas de réellement progresser.

Interrogé sur les performances comparées du secteur public et du secteur privé en France, Eric Maurin estime que le secteur privé connaît de meilleurs résultats à la marge, compte tenu de l’origine sociale des parents.

Françoise OCRENE exprime des réserves sur l’idée de refondation/rénovation. Toutefois, elle pense qu’il convient de réfléchir différemment et pose une question qui peut déranger : l’école est-elle aujourd’hui adaptée pour permettre à notre économie d’obtenir le point de croissance annuel supplémentaire qui aujourd’hui nous fait tant défaut ?

Jeannette COURAULT insiste sur trois priorités : la présence reconnue de la culture à l’école ; le refus de la « surghettoisation » à l’école, que nous subissons dans certaines villes ou dans certains quartiers ; l’impératif du vivre ensemble aujourd’hui, largement altéré dans beaucoup de collèges et parfois selon des critères sexistes.

Alain BERGOUNIOUX remercie les participants pour ce débat à la fois dense et complexe. Il regrette toutefois que certaines questions n’aient pu être abordées, comme la pédagogie par exemple.

Christian FORESTIER confirme que nous n’avons pas à rougir de ce qui a été accompli. Il faut d’ailleurs continuer à pousser les feux. Il se montre favorable à l’accession de 50 % d’une classe d’âge à la réussite dans l’enseignement supérieur. Il pense que les 20 % d’élèves sortant sans diplôme ou sans qualification du système éducatif restent notre priorité. Il reconnaît la nécessité de travailler le problème de la formation tout au long de la vie, à condition que celle-ci ne devienne pas un alibi. L’essentiel consiste à permettre la réussite du plus grand nombre dès le départ. Dans un autre domaine, Christian Forestier considère que le problème des moyens financiers et humains continue de jouer un rôle décisif à l’université. Aujourd’hui un adolescent sur deux seulement accède au premier cycle universitaire. Cette situation s’accompagne d’une réalité finalement toujours acceptée : on développe toujours un effort identique que ce soit vis à vis du fils ou de la fille d’un cadre supérieur ou vis à vis du fils ou de la fille d’un ouvrier.

Eric MAURIN dénonce à son tour le fonctionnement très inégalitaire dans l’enseignement supérieur. Pour lui, l’effort financier indispensable doit d’abord porter sur les filières universitaires non sélectives. Il semble intéressé par le principe du remboursement différé des droits d’inscriptions par les anciens étudiants, ayant réussi leur intégration professionnelle : ce serait là une innovation juste pour renforcer les moyens accordés à l’enseignement supérieur. Pourquoi ne pas faire payer aux diplômés qui ont réussi, une partie de l’effort financier accordé à l’enseignement supérieur ? Cette question mérite d’autant plus d’être posée, que les finalités recherchées par le développement de l’enseignement supérieur sont mixtes : elles sont à la fois d’ordre public et d’ordre privé.