La Shoah n'est pas un gadget électoral

Mais quelle mouche a encore piqué ns[1] ? Où a t il été chercher cette saugrenuité qui consisterait à attacher la mémoire d'un enfant victime de l'extermination nazie à la scolarité d'un jeune de CM2 ?

Anne sur son blog parle d'effarement à l'idée de remplacer le devoir de mémoire par les devoirs de récitation

... la décision de remplacer la réflexion historique par du mauvais Spielberg, le devoir de mémoire par les devoirs de récitation ; la promotion de la religion en lieu et place de l'apprentissage de la sagesse, au mépris de ce que nous enseigne l'histoire justement : qu'il n'est nul besoin de foi pour être juste, qu'au nom de la religion il y eut maints massacres, que c'est en son nom qu'on fait le pire comme le meilleur, bref qu'elle ne protège de rien. Bling !

Simone Veil, elle, fustige

"C’est inimaginable, insoutenable, dramatique et, surtout, injuste, tranche l’ancien ministre, déportée à 16 ans et demi à Auschwitz. On ne peut pas infliger cela à des petits de dix ans! On ne peut pas demander à un enfant de s’identifier à un enfant mort. Cette mémoire est beaucoup trop lourde à porter. Nous mêmes, anciens déportés, avons eu beaucoup de difficultés, après la guerre, à parler de ce que nous avions vécu, même avec nos proches. Et, aujourd’hui encore, nous essayons d’épargner nos enfants et nos petits-enfants. Par ailleurs, beaucoup d’enseignants parlent -très bien- de ces sujets à l’école."[2]

Une mauvaise idée, dangereuse pour les jeunes. En effet, elle suppose d'une part que les jeunes connaissent. Elle sous entend, d'autre part, une forme de culpabilité et de culpabilisation qui est très éloignée du "fonctionnement" actuel des jeunes d'aujourd'hui. De nombreux spécialistes la considère même comme dangereuse. Vu sur France2

"Une aberration", selon une psychologue

La proposition de Nicolas Sarkozy de "confier la mémoire" d'un enfant victime de la Shoah à un élève de CM2 est "une aberration", qui risque de provoquer de la culpabilité chez l'enfant, estime Marie-Odile Rucine, psychologue en pédiatrie générale à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, qui a accordé une interview à l'AFP.

Q : Quel est votre point de vue de psychologue sur la proposition du président de la République ? R : "Ce discours n'est pas recevable, sur le plan psychique c'est une aberration. M. Sarkozy ne connaît pas très bien les caractéristiques de la psychologie d'un enfant que l'on appelle pré-pubère, en période de latence. L'enfant alors n'est pas suffisamment dégagé du psychisme familial, l'autonomie psychique ne se fait qu'après la "crise" d'adolescence. Avant, obligatoirement, si c'est sur lui qu'on fait peser les choses, il va traduire les choses en terme de culpabilité.

Dans des deuils ou des ruptures difficiles, l'enfant cache beaucoup ce genre de culpabilité, mais c'est le lit de troubles névrotiques à l'âge adulte. Il va se trouver très entravé dans son développement par rapport à ça, cette mission qu'on lui a confiée. M. Sarkozy n'a pas mesuré la différence entre un adulte et un enfant du point de vue du vécu du deuil, de la mémoire.

Q : Est-ce que cette proposition serait recevable pour un enfant plus âgé, ou pour les plus réfléchis des jeunes enfants ? R : Non, ça vaut pour tous les enfants. Notamment pour les plus compétents, qui sont les plus sensibles et qui justement vont se sentir les plus coupables. Confier à un enfant la mémoire d'un autre qui a subi la Shoah c'est lui confier une mission qui ne peut être dévolue qu'aux adultes.

Q : Que suggéreriez-vous pour sensibiliser les enfants à la Shoah ? R : Il faut en faire un travail éducatif de manière collective. Il est indispensable que pour les former à leur devenir d'adultes on leur parle de la Shoah, des extrémismes, du racisme. Le moment du CM2 est excellent pour ce travail dont l'enfant va faire quelque chose de l'ordre de la prévention. Il va se dire : "Adulte, je ferai en sorte que ça ne se reproduise pas." Le devoir de mémoire, il est là. C'est beaucoup fait par les enseignants, par des associations, par des organisations, M. Sarkozy n'a pas l'air de le savoir. Il aurait pu tout à fait préciser qu'il a l'intention d'encourager ce genre d'initiatives et demander qu'elles soient généralisées.

Eventuellement, M. Sarkozy aurait pu, de manière non dangereuse, confier la mémoire d'un certain nombre d'enfants déportés à un groupe, à une classe, à plusieurs et médiatisé par l'instituteur.Ce n'est pas possible de proposer ça de manière individuelle. Ca n'a pas de sens, ça va générer de la culpabilité, ça va ne servir à rien.

La Shoah n'est pas un gadget électoral

La technique qui consiste à rebondir sur un sujet polémique pour cacher le motif de mécontentement précédent est maintenant bien connue. Les liens entre les évènements suivants seraient ils fortuits ? Fouquet's ; Môcquet ; Khadafi ; Bruni ; SMS ; conférence de presse[3] ; plan espoir ; devoir de mémoire ; ...

ns ne devrait pas jouer avec l'Histoire, surtout la plus dramatique, la Shoah ne doit pas être pas un gadget électoral.

L'agitation permanente et la fuite en avant s'arrêteront où ?

Edit du 21 février 2008

Lectures recommandées (merci) 2 points de vue parus dans Le Monde

  • Le devoir d'histoire, condition du devoir de mémoire, par Henri Pena-Ruiz (lien)

La politique de l'émotion, par la mobilisation compassionnelle d'enfants de 10 ans, est une faute contre l'esprit et peut-être aussi contre le coeur. Faire les choses à contretemps et d'une telle manière, c'est risquer de compromettre une authentique prise de conscience, fondée sur le recours à la raison et au savoir. L'émotion de la distance va de pair avec la citoyenneté éclairée et l'instruction qui la rend possible. Le patient travail des professeurs d'histoire ou de philosophie, entre autres, n'a pas attendu l'annonce du président de la République pour oeuvrer en ce sens.

  • Une "gentillesse" trop brutale, par Boris Cyrulnik (lien)

Deux grands dangers menacent la mémoire de la Shoah : le premier, c'est de ne pas en parler ; le deuxième, c'est de mal en parler.

Fin edit

Notes

[1] névropathe sirupeux ?

[2] copié depuis le site de l'Express

[3] conférence de presse sur l'Europe que tout le monde a déjà oublié