De façon anodine, le gouvernement va saisir le Parlement d'un projet de loi créant la "rétention de sûreté" dans notre droit pénal. Il s'agit d'un changement profond d'orientation de notre justice. Il faut rappeler les fondements de la justice, depuis la révolution des Droits de l'homme. Parce que tout être humain est réputé doué de raison, il est déclaré responsable de ses actes. S'il viole la loi, il doit en répondre devant des juges indépendants. A l'issue d'un procès public, où les droits de la défense auront été respectés, s'il est déclaré coupable, il devra purger une peine prévue par la loi. Tels sont les impératifs de la justice dans un Etat fondé sur la liberté.

Or le projet de loi contourne le roc de ces principes. Il ne s'agira plus seulement pour le juge, gardien de nos libertés individuelles, de constater une infraction et de prononcer une peine contre son auteur. Après l'achèvement de sa peine, après avoir "payé sa dette à la société", au lieu d'être libéré, le condamné pourra être "retenu", placé dans un "centre sociomédico-judiciaire de sûreté", par une décision d'une commission de magistrats pour une durée d'une année, renouvelable, parce qu'il présenterait selon des experts une "particulière dangerosité" entraînant un risque élevé de récidive.

Le lien entre une infraction commise et l'emprisonnement de son auteur disparaît. Le "retenu" sera détenu dans un établissement fermé et sécurisé, en fonction d'une "dangerosité" décelée par des psychiatres et prise en compte par une commission spécialisée. Et aussi longtemps que ce diagnostic subsistera, il pourra être retenu dans cette prison-hôpital ou hôpital-prison. Nous quittons la réalité des faits (le crime commis) pour la plasticité des hypothèses (le crime virtuel qui pourrait être commis par cet homme "dangereux").

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On dira que le texte ne prévoit cette "rétention de sûreté" que pour des criminels particulièrement odieux, pédophiles, violeurs, meurtriers, agresseurs de mineurs, condamnés au moins à quinze ans de réclusion criminelle. On soulignera que le texte exige que la mesure soit demandée par une commission pluridisciplinaire et décidée par des magistrats. Des voies de recours en appel et cassation sont prévues. On marquera que la rétention ne sera ordonnée qu'au vu d'expertises psychiatriques sur la dangerosité du sujet. Est-il besoin de rappeler que ce concept de dangerosité demeure incertain dans sa mise en oeuvre ? Et l'expérience des dernières années laisse présager qu'au premier fait divers odieux, échappant aux catégories criminelles visées par la "rétention de sûreté", celle-ci sera aussitôt élargie à tous les auteurs des crimes les plus graves, qu'il s'agisse de violeurs ou de meurtriers. Et l'on verra s'accroître toujours plus le domaine d'une "justice" de sûreté, au détriment d'une justice de responsabilité, garante de la liberté individuelle.

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