Récit d’anticipation : La France à l’Élysée

L'épitre à Usbek vue sur l'Hebdo des socialistes n°445
La France à l'Elysée

Le 6 mai, vous avez le pouvoir de faire en sorte que ces lignes deviennent réalité

Cher Usbek,

Je ne sais pas si tu as réussi à avoir beaucoup d’informations, du fond de ta Perse, sur l’élection présidentielle française. L’élection, oui, bien sûr, mais ce qu’elle a changé dans mon pays ? Je t’adresse donc quelques pages de notes, prises pour te tenir informé de ce qui s’est passé chez nous pendant ces quelques mois qui ont suivi l’élection de Ségolène Royal à la présidence de la République. L’ambiance rappelle la fièvre de mai 1981. Ce sont de bien beaux moments. J’ai essayé, malgré la ferveur des derniers mois, d’écrire pour toi presque chaque soir quelques lignes factuelles. Bien à toi, Roxane.

8 mai

Un Parisien ouvre ses fenêtres et découvre le ciel ensoleillé sur les toits de Paris : « Ça alors, nous avons une femme présidente de la République et la tour Eiffel est toujours là ! ». C’est le dessin de Plantu dans Le Monde cet après-midi.

Pour toutes les femmes dans le monde, c’est une avancée majeure. Je suis émue. Je pense à mes soeurs d’ailleurs, elles regardent aujourd’hui la France avec admiration, comme au temps des Lumières… Je pense aussi à toutes les femmes ici qui n’ont pas la parole, sur leur lieu de travail ou chez elle. Pour elles aussi, c’est un espoir en marche.

Chirac a assisté à sa dernière cérémonie officielle et les Français à la plus grande fête populaire depuis le 10 mai 1981. Toute la tension accumulée, la colère face à la pression médiatique le soir du premier tour, avec les images du favori des puissants dans sa voiture noire remontant les quais de Seine, toute cette machinerie de guerre qui semblait pouvoir écraser d’une pichenette nos troupes joyeuses mais artisanales… et puis, au bout, le succès… Comme les soldats grecs de Salamine, acculés à la victoire par leur infériorité numérique elle-même.

10 mai

Pour l’anniversaire de la victoire de François Mitterrand, un rassemblement est organisé à la Bastille. Des télégrammes de félicitations envoyés de partout dans le monde s’accumulent rue de Solférino : « un moment historique pour la France », « une recomposition historique sans précédent », « une nouvelle ère politique», «Le temps des femmes est arrivé »,« un grand pas pour la cause des femmes », « le nouveau visage de Marianne», «les Français ont préféré la France de la réconciliation à la France de la confrontation », «une nouvelle socialdémocratie à la française »,«un soulagement pour l’Europe ».

16 mai

Aujourd’hui, cher Usbek, l’heure est grave. Je sais combien tu es attaché aux symboles de la République et au cérémonial laïque qui assoit la légitimité de nos institutions démocratiques. À onze heures tapantes, Ségolène Royal entre à l’Élysée,l’ancien président Jacques Chirac en sort une heure plus tard. Dans l’intervalle, la Présidence a changé de visage et la France a changé d’âme. Celle que l’on peut désormais appeler Madame la Présidente l’accompagne sur le perron, descend quelques marches avec lui, lui tend la main. Il s’incline. Entre-temps – « une longue conversation », « un délai inhabituel », « un entretien poussé », diront les commentateurs – quelques mots d’analyse du résultat de l’élection, de la situation politique et économique du pays, et enfin, la transmission de la clef du feu nucléaire.

« On est un peu prisonnier ici, vous verrez », lui confie Jacques Chirac à mivoix. Elle sourit : « il suffit d’en sortir. » Elle l’a dit : elle sera chaque semaine au contact des Français. Elle tiendra parole. C’est aujourd’hui son premier bain de foule de présidente.

Bien sûr, les journaux bruissent de rumeurs sur la composition – dont on sait qu’elle sera resserrée – du gouvernement. Le politiquement correct fait des émules : ceux qui ont rivalisé de misogynie pendant la campagne font désormais assaut de précautions oratoires dans leurs déclarations ou leurs écrits. Dans leurs supputations, on évoque toujours « le ou la » Premier-ère ministre, et à chaque fois, l’on prend soin de citer des femmes.

Très vite, la présidente nomme son Premier ministre. Celui-ci annonce la composition du gouvernement : un souffle d’espoir passe sur le pays. « Concentrée, féminisée, efficace, issue d’horizons politiques divers et ouverte, voilà le profil de l’équipe », analyse Libération. Il y a un nouveau poste au gouvernement : pour la première fois, un vice- Premier ministre du Développement durable, distinct du ministre de l’Environnement, sera chargé de la coordination de toutes les politiques publiques, de la réflexion et de l’anticipation sur les enjeux écologiques.

Sans même attendre la réunion du premier Conseil des ministres, la Présidente convoque une Conférence sur les revenus et la croissance. Son porte-parole, sur le perron de l’Élysée, indique que la table ronde avec les partenaires sociaux aura pour objet de relever le pouvoir d’achat des Français, de faire pièce à la vie chère, et de réorienter les aides aux entreprises vers la création d’emplois et l’innovation.

Le Cercle des jeunes dirigeants, comme l’ensemble des organisations syndicales, se félicite de la célérité de la présidente à mettre en oeuvre l’un de ses principaux engagements de campagne. Le Medef dénonce une opération de communication politique qui risque de mettre en « péril l’équilibre des entreprises », et indique que « seule la baisse des charges patronales et la disparition du contrat de travail peuvent permettre de résoudre le chômage ».

On apprend que le concurrent défait a organisé un dîner avec ses principaux soutiens: Lagardère, Bouygues, Dassault, Albert Frère,et autres patrons du CAC 40. Les femmes de l’UMP, qui avaient été mises en avant pendant la campagne, sont désespérées : elles sont de nouveau marginalisées et réduites aux postes subalternes dans leur parti.

22 mai

À marquer d’une pierre rouge dans l’histoire du mouvement féministe : Olympe de Gouges fait son entrée au Panthéon, près de deux cent quinze ans après avoir été guillotinée.

Jeanne Moreau lit La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne sur les marches du Panthéon. Ségolène Royal porte deux roses à la main, une pour honorer l’Histoire, une pour saluer l’avenir, a-t-elle déclaré. C’est un bien beau visage pour Marianne… 26 ans après…

Cher Usbek, on était toi et moi des enfants quand Mitterrand est arrivé au pouvoir, et là, tout à coup, nous sommes tous sur la photo : c’est étrange d’avoir l’impression de sauter dans un livre d’histoire à pieds joints. La campagne législative bat son plein dans toutes les circonscriptions de France. Évidemment, chaque membre de la future majorité présidentielle, a placé une photo de Ségolène sur son affiche et sa profession de foi.

29 mai

La présidente de la République, lors de l’une de ces conférences de presse qu’elle a décidé de tenir régulièrement (car « une présidente au contact des Françaises et des Français est une présidente qui s’adresse à eux »), annonce que la Conférence sur les revenus et la croissance approuve le principe des emplois-tremplins et le droit au premier emploi, afin qu’aucun jeune ne demeure plus de six mois sans travail après sa sortie du système scolaire.

Le « contrat de progrès » avec les PME est mis à l’essai dans trois régions, puis il sera étendu à l’ensemble du territoire après un bilan participatif mené par des experts et des citoyens.

La présidente annonce qu’elle ouvre un chantier essentiel pour l’avenir du pays et la rénovation de la démocratie: la modernisation de la démocratie sociale,avec les partenaires sociaux,afin qu’émergent des propositions pour faciliter, financer en partie,et encourager,l’engagement syndical et que les représentants syndicaux aient plus de poids dans les entreprises.

4 juin

Nouvelle conférence de presse de la présidente : accompagnée de son vice- Premier ministre du Développement durable, elle décrète un moratoire sur les OGM en plein champ et l’ouverture d’une conférence de citoyens sur les organismes génétiquement modifiés. Pendant plusieurs semaines, experts, élus, citoyens, vont discuter ensemble des enjeux scientifiques et techniques, mais aussi de l’impact social et économique de ces technologies. Comme elle l’avait annoncé pendant sa campagne, « les décisions qui concernent la vie et l’avenir de tous les citoyens méritent qu’ils y soient associés, qu’ils en soient informés, qu’ils puissent en débattre en toute liberté » – car « là où il y a mensonge, là où il y a secret, il y a souvent catastrophe annoncée ». Les associations écologistes se félicitent de ce geste « qui marque un premier pas vers une prise de conscience des enjeux environnementaux majeurs qui menacent l’avenir de la planète ».

Jacques Chirac, nouveau président de la Fondation Jacques Chirac – La maison brûle, salue cette décision depuis son lieu de vacances… Le Prix de la meilleure blague politique de la campagne est décerné à Nicolas Sarkozy pour ses 27 citations de Jean Jaurès en un seul discours.

Le vice-Premier ministre chargé du Développement durable prépare le débat national sur la politique énergétique de la France. Il réunit l’ensemble des associations de défense de l’environnement, notamment celles qui avaient claqué la porte des pseudodébats précédents. Très vite, un consensus se dégage pour proposer de fortes incitations fiscales visant à encourager le développement du plan massif en faveur des énergies renouvelables. L’objectif est de tenir – enfin ! – l’engagement de réduire par 4 d’ici 2050 les émissions de gaz à effet de serre. Le Plan massif pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique y seront pour beaucoup.

6 juin

La présidente est arrivée au sommet du G8 à Heiligendamm en Allemagne. Jolie station balnéaire au bord de la Baltique – l’une des mers les plus polluées au monde.

Dans ce cénacle, elle fait son entrée parmi les dirigeants des pays les plus riches du monde. Elle a déjà rencontré plusieurs d’entre eux lors de la campagne. Mais avec George Bush, c’est peu de dire que les relations sont juste cordiales. Au programme de la présidente, le changement climatique, le codéveloppement, la place des pays du Sud dans les rencontres internationales, notamment l’Afrique, le développement d’un commerce plus équitable en s’appuyant sur la présence de Pascal Lamy à la tête de l’OMC.

10 juin

Premier tour des élections législatives.

17 juin

Les Français ont choisi une nouvelle majorité parlementaire. Toutes les conditions démocratiques sont réunies pour mener à bien les réformes du pacte.

Les priorités sont réaffirmées : rénovation démocratique, justice sociale, urgence écologique et vitalité économique, impartialité et sobriété de l’État.

20 juin

Les ministres de l’Agriculture et de l’Environnement ouvrent conjointement les États généraux de l’agriculture et de la ruralité.

Le Sommet européen permet de fixer la feuille de route de la relance de l’ambition européenne, en s’engageant sur une dimension sociale renforcée. Angela Merkel, qui assure la présidence de l’Union, se félicite du redémarrage de l’Europe politique grâce au retour d’une France forte et respectée à la table des négociations.

À l’issue de la conférence, les dirigeants européens font une déclaration solennelle sur la situation au Darfour.

21 juin

Le Parlement est réuni en session extraordinaire.

L’Assemblée, elle aussi, est plus féminisée. Surtout, les parlementaires savent que dès la réforme institutionnelle, ils devront renoncer au cumul des mandats. Certains s’en réjouissent, d’autres font grise mine et tentent d’ultimes manoeuvres pour louvoyer. Peine perdue !

Le second grand chantier présidentiel est engagé : celui des institutions. Un Comité constituant consultatif formé de parlementaires, d’élus locaux, de citoyens tirés au sort et de spécialistes de droit constitutionnel est chargé de faire des propositions de réformes pour préparer le référendum de l’automne. Les citoyens sont tirés au sort sur les listes électorales, un principe inventé par la démocratie athénienne, qui fait grincer quelques dents.

Le site internet de l’Élysée sert de relais aux participations des internautes citoyens de la France Présidente. Un seul mot d’ordre : la parole aux citoyens. Ségolène Royal le martèle à chacune de ses interventions : nous avons rendu la parole aux Français, personne ne la leur volera.

La présidente annonce que le changement d’utilisation du fort de Brégançon est à l’étude. La résidence estivale du chef de l’État pourrait être transformée en lieu d’accueil et d’éducation pour des jeunes en rupture sociale et scolaire.

1er juillet

Excellente nouvelle pour les Français : suivant les conclusions de la Conférence sur les revenus et la croissance, le smic est augmenté ainsi que les bas salaires,l’allocation adultes handicapés, les petites pensions et le minimum vieillesse.

9 juillet

Le ministre de l’Intérieur crée une nouvelle police de proximité. Le porteparole du gouvernement rappelle que certains s’étaient moqués des policiers qui jouaient au basket avec les jeunes, et que le résultat en avait été la rupture du lien de confiance.

Pour accélérer le traitement des affaires pénales comme civiles, les moyens de la justice sont multipliés par deux.

S’il est un engagement qui a été renouvelé et réaffirmé tout au long de la campagne, c’est l’égalité entre les sexes. La première loi mise à l’ordre du jour est celle contre les violences conjugales. Elle est adoptée. « Ce n’est plus seulement de réparations qu’il s’agit, ou de panser les blessures, mais de renforcer la prévention, en portant une attention majeure à l’éducation et à l’égalité à l’école, à la santé publique, à la sécurité », selon le communiqué de l’AFP.

La rentrée scolaire approche, les emplois d’enseignants supprimés par la droite sont rétablis et orientés en priorité vers les établissement classés difficiles. Le nombre d’élèves par classe en CP et en CE1 est au maximum de 17 dans les zones sensibles. L’éducation est bien la priorité des priorités de la nouvelle présidente, qui insiste pour réintroduire l’enseignement artistique de la maternelle à l’université, ainsi que pour soutenir les associations culturelles qui avaient été durement frappées par les restrictions budgétaires.

14 juillet

La présidente assiste au défilé aux côtés d’Angela Merkel, de Romano Prodi et de José Luis Zapatero. Ensuite, ils remontent les Champs-Élysées à pied, symbole de l’Europe en marche…

La garden party est ouverte non plus seulement aux officiels et à leurs familles, mais à des citoyens tirés au sort. L’invitée d’honneur est Mélanie Bétancourt, la fille d’Ingrid.

6 août

Vacances pour tout le monde. Courtes. C’est la première vraie halte de Ségolène Royal depuis des mois. Elle ne change pas ses habitudes pour autant :vacances familiales, avec juste les officiers de sécurité en plus.

Avant les vacances parlementaires,le ministre de l’éducation nationale a annoncé que l’allocation de rentrée scolaire versée aux familles serait doublée. Elle est versée immédiatement.

Septembre

La loi de finances 2008 est en cours de préparation : le budget de l’université est augmenté de 10 %, celui de la recherche aussi. La justice sociale passe par la justice fiscale : on réfléchit aux suppressions des niches fiscales, et on instaure un bouclier logement, qui protège les locataires de la hausse exorbitante des loyers.

Grand moment d’expression démocratique dans le pays : le référendum sur la VIe République.

Beaucoup de débats, la droite dure se déchaîne contre la perte de ses pouvoirs.

La suppression du 49.3, la fin du cumul des mandats, les droits de l’opposition, l’institutionnalisation de la démocratie participative, le renforcement des pouvoirs du Parlement, les jurys citoyens, la transformation du CSA en Haute Autorité du pluralisme, dont les membres sont nommés par l’Assemblée à une majorité des 3/5e, l’ouverture du Conseil économique et social aux représentants d’associations de défense de l’environnement et de la culture… Le renforcement de la démocratie, son approfondissement. C’est une révolution douce, celle de la France, enfin présidente.

Aurélie Filippetti