vendredi 4 mai 2007

Récit d’anticipation : La France à l’Élysée

Cher Usbek,

Je ne sais pas si tu as réussi à avoir beaucoup d’informations, du fond de ta Perse, sur l’élection présidentielle française. L’élection, oui, bien sûr, mais ce qu’elle a changé dans mon pays ? Je t’adresse donc quelques pages de notes, prises pour te tenir informé de ce qui s’est passé chez nous pendant ces quelques mois qui ont suivi l’élection de Ségolène Royal à la présidence de la République. L’ambiance rappelle la fièvre de mai 1981. Ce sont de bien beaux moments. J’ai essayé, malgré la ferveur des derniers mois, d’écrire pour toi presque chaque soir quelques lignes factuelles. Bien à toi, Roxane.

8 mai

Un Parisien ouvre ses fenêtres et découvre le ciel ensoleillé sur les toits de Paris : « Ça alors, nous avons une femme présidente de la République et la tour Eiffel est toujours là ! ». C’est le dessin de Plantu dans Le Monde cet après-midi.

Pour toutes les femmes dans le monde, c’est une avancée majeure. Je suis émue. Je pense à mes soeurs d’ailleurs, elles regardent aujourd’hui la France avec admiration, comme au temps des Lumières… Je pense aussi à toutes les femmes ici qui n’ont pas la parole, sur leur lieu de travail ou chez elle. Pour elles aussi, c’est un espoir en marche.

Chirac a assisté à sa dernière cérémonie officielle et les Français à la plus grande fête populaire depuis le 10 mai 1981. Toute la tension accumulée, la colère face à la pression médiatique le soir du premier tour, avec les images du favori des puissants dans sa voiture noire remontant les quais de Seine, toute cette machinerie de guerre qui semblait pouvoir écraser d’une pichenette nos troupes joyeuses mais artisanales… et puis, au bout, le succès… Comme les soldats grecs de Salamine, acculés à la victoire par leur infériorité numérique elle-même.

10 mai

Pour l’anniversaire de la victoire de François Mitterrand, un rassemblement est organisé à la Bastille. Des télégrammes de félicitations envoyés de partout dans le monde s’accumulent rue de Solférino : « un moment historique pour la France », « une recomposition historique sans précédent », « une nouvelle ère politique», «Le temps des femmes est arrivé »,« un grand pas pour la cause des femmes », « le nouveau visage de Marianne», «les Français ont préféré la France de la réconciliation à la France de la confrontation », «une nouvelle socialdémocratie à la française »,«un soulagement pour l’Europe ».

16 mai

Aujourd’hui, cher Usbek, l’heure est grave. Je sais combien tu es attaché aux symboles de la République et au cérémonial laïque qui assoit la légitimité de nos institutions démocratiques. À onze heures tapantes, Ségolène Royal entre à l’Élysée,l’ancien président Jacques Chirac en sort une heure plus tard. Dans l’intervalle, la Présidence a changé de visage et la France a changé d’âme. Celle que l’on peut désormais appeler Madame la Présidente l’accompagne sur le perron, descend quelques marches avec lui, lui tend la main. Il s’incline. Entre-temps – « une longue conversation », « un délai inhabituel », « un entretien poussé », diront les commentateurs – quelques mots d’analyse du résultat de l’élection, de la situation politique et économique du pays, et enfin, la transmission de la clef du feu nucléaire.

« On est un peu prisonnier ici, vous verrez », lui confie Jacques Chirac à mivoix. Elle sourit : « il suffit d’en sortir. » Elle l’a dit : elle sera chaque semaine au contact des Français. Elle tiendra parole. C’est aujourd’hui son premier bain de foule de présidente.

Bien sûr, les journaux bruissent de rumeurs sur la composition – dont on sait qu’elle sera resserrée – du gouvernement. Le politiquement correct fait des émules : ceux qui ont rivalisé de misogynie pendant la campagne font désormais assaut de précautions oratoires dans leurs déclarations ou leurs écrits. Dans leurs supputations, on évoque toujours « le ou la » Premier-ère ministre, et à chaque fois, l’on prend soin de citer des femmes.

Très vite, la présidente nomme son Premier ministre. Celui-ci annonce la composition du gouvernement : un souffle d’espoir passe sur le pays. « Concentrée, féminisée, efficace, issue d’horizons politiques divers et ouverte, voilà le profil de l’équipe », analyse Libération. Il y a un nouveau poste au gouvernement : pour la première fois, un vice- Premier ministre du Développement durable, distinct du ministre de l’Environnement, sera chargé de la coordination de toutes les politiques publiques, de la réflexion et de l’anticipation sur les enjeux écologiques.

Sans même attendre la réunion du premier Conseil des ministres, la Présidente convoque une Conférence sur les revenus et la croissance. Son porte-parole, sur le perron de l’Élysée, indique que la table ronde avec les partenaires sociaux aura pour objet de relever le pouvoir d’achat des Français, de faire pièce à la vie chère, et de réorienter les aides aux entreprises vers la création d’emplois et l’innovation.

Le Cercle des jeunes dirigeants, comme l’ensemble des organisations syndicales, se félicite de la célérité de la présidente à mettre en oeuvre l’un de ses principaux engagements de campagne. Le Medef dénonce une opération de communication politique qui risque de mettre en « péril l’équilibre des entreprises », et indique que « seule la baisse des charges patronales et la disparition du contrat de travail peuvent permettre de résoudre le chômage ».

On apprend que le concurrent défait a organisé un dîner avec ses principaux soutiens: Lagardère, Bouygues, Dassault, Albert Frère,et autres patrons du CAC 40. Les femmes de l’UMP, qui avaient été mises en avant pendant la campagne, sont désespérées : elles sont de nouveau marginalisées et réduites aux postes subalternes dans leur parti.

22 mai

À marquer d’une pierre rouge dans l’histoire du mouvement féministe : Olympe de Gouges fait son entrée au Panthéon, près de deux cent quinze ans après avoir été guillotinée.

Jeanne Moreau lit La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne sur les marches du Panthéon. Ségolène Royal porte deux roses à la main, une pour honorer l’Histoire, une pour saluer l’avenir, a-t-elle déclaré. C’est un bien beau visage pour Marianne… 26 ans après…

Cher Usbek, on était toi et moi des enfants quand Mitterrand est arrivé au pouvoir, et là, tout à coup, nous sommes tous sur la photo : c’est étrange d’avoir l’impression de sauter dans un livre d’histoire à pieds joints. La campagne législative bat son plein dans toutes les circonscriptions de France. Évidemment, chaque membre de la future majorité présidentielle, a placé une photo de Ségolène sur son affiche et sa profession de foi.

29 mai

La présidente de la République, lors de l’une de ces conférences de presse qu’elle a décidé de tenir régulièrement (car « une présidente au contact des Françaises et des Français est une présidente qui s’adresse à eux »), annonce que la Conférence sur les revenus et la croissance approuve le principe des emplois-tremplins et le droit au premier emploi, afin qu’aucun jeune ne demeure plus de six mois sans travail après sa sortie du système scolaire.

Le « contrat de progrès » avec les PME est mis à l’essai dans trois régions, puis il sera étendu à l’ensemble du territoire après un bilan participatif mené par des experts et des citoyens.

La présidente annonce qu’elle ouvre un chantier essentiel pour l’avenir du pays et la rénovation de la démocratie: la modernisation de la démocratie sociale,avec les partenaires sociaux,afin qu’émergent des propositions pour faciliter, financer en partie,et encourager,l’engagement syndical et que les représentants syndicaux aient plus de poids dans les entreprises.

4 juin

Nouvelle conférence de presse de la présidente : accompagnée de son vice- Premier ministre du Développement durable, elle décrète un moratoire sur les OGM en plein champ et l’ouverture d’une conférence de citoyens sur les organismes génétiquement modifiés. Pendant plusieurs semaines, experts, élus, citoyens, vont discuter ensemble des enjeux scientifiques et techniques, mais aussi de l’impact social et économique de ces technologies. Comme elle l’avait annoncé pendant sa campagne, « les décisions qui concernent la vie et l’avenir de tous les citoyens méritent qu’ils y soient associés, qu’ils en soient informés, qu’ils puissent en débattre en toute liberté » – car « là où il y a mensonge, là où il y a secret, il y a souvent catastrophe annoncée ». Les associations écologistes se félicitent de ce geste « qui marque un premier pas vers une prise de conscience des enjeux environnementaux majeurs qui menacent l’avenir de la planète ».

Jacques Chirac, nouveau président de la Fondation Jacques Chirac – La maison brûle, salue cette décision depuis son lieu de vacances… Le Prix de la meilleure blague politique de la campagne est décerné à Nicolas Sarkozy pour ses 27 citations de Jean Jaurès en un seul discours.

Le vice-Premier ministre chargé du Développement durable prépare le débat national sur la politique énergétique de la France. Il réunit l’ensemble des associations de défense de l’environnement, notamment celles qui avaient claqué la porte des pseudodébats précédents. Très vite, un consensus se dégage pour proposer de fortes incitations fiscales visant à encourager le développement du plan massif en faveur des énergies renouvelables. L’objectif est de tenir – enfin ! – l’engagement de réduire par 4 d’ici 2050 les émissions de gaz à effet de serre. Le Plan massif pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique y seront pour beaucoup.

6 juin

La présidente est arrivée au sommet du G8 à Heiligendamm en Allemagne. Jolie station balnéaire au bord de la Baltique – l’une des mers les plus polluées au monde.

Dans ce cénacle, elle fait son entrée parmi les dirigeants des pays les plus riches du monde. Elle a déjà rencontré plusieurs d’entre eux lors de la campagne. Mais avec George Bush, c’est peu de dire que les relations sont juste cordiales. Au programme de la présidente, le changement climatique, le codéveloppement, la place des pays du Sud dans les rencontres internationales, notamment l’Afrique, le développement d’un commerce plus équitable en s’appuyant sur la présence de Pascal Lamy à la tête de l’OMC.

10 juin

Premier tour des élections législatives.

17 juin

Les Français ont choisi une nouvelle majorité parlementaire. Toutes les conditions démocratiques sont réunies pour mener à bien les réformes du pacte.

Les priorités sont réaffirmées : rénovation démocratique, justice sociale, urgence écologique et vitalité économique, impartialité et sobriété de l’État.

20 juin

Les ministres de l’Agriculture et de l’Environnement ouvrent conjointement les États généraux de l’agriculture et de la ruralité.

Le Sommet européen permet de fixer la feuille de route de la relance de l’ambition européenne, en s’engageant sur une dimension sociale renforcée. Angela Merkel, qui assure la présidence de l’Union, se félicite du redémarrage de l’Europe politique grâce au retour d’une France forte et respectée à la table des négociations.

À l’issue de la conférence, les dirigeants européens font une déclaration solennelle sur la situation au Darfour.

21 juin

Le Parlement est réuni en session extraordinaire.

L’Assemblée, elle aussi, est plus féminisée. Surtout, les parlementaires savent que dès la réforme institutionnelle, ils devront renoncer au cumul des mandats. Certains s’en réjouissent, d’autres font grise mine et tentent d’ultimes manoeuvres pour louvoyer. Peine perdue !

Le second grand chantier présidentiel est engagé : celui des institutions. Un Comité constituant consultatif formé de parlementaires, d’élus locaux, de citoyens tirés au sort et de spécialistes de droit constitutionnel est chargé de faire des propositions de réformes pour préparer le référendum de l’automne. Les citoyens sont tirés au sort sur les listes électorales, un principe inventé par la démocratie athénienne, qui fait grincer quelques dents.

Le site internet de l’Élysée sert de relais aux participations des internautes citoyens de la France Présidente. Un seul mot d’ordre : la parole aux citoyens. Ségolène Royal le martèle à chacune de ses interventions : nous avons rendu la parole aux Français, personne ne la leur volera.

La présidente annonce que le changement d’utilisation du fort de Brégançon est à l’étude. La résidence estivale du chef de l’État pourrait être transformée en lieu d’accueil et d’éducation pour des jeunes en rupture sociale et scolaire.

1er juillet

Excellente nouvelle pour les Français : suivant les conclusions de la Conférence sur les revenus et la croissance, le smic est augmenté ainsi que les bas salaires,l’allocation adultes handicapés, les petites pensions et le minimum vieillesse.

9 juillet

Le ministre de l’Intérieur crée une nouvelle police de proximité. Le porteparole du gouvernement rappelle que certains s’étaient moqués des policiers qui jouaient au basket avec les jeunes, et que le résultat en avait été la rupture du lien de confiance.

Pour accélérer le traitement des affaires pénales comme civiles, les moyens de la justice sont multipliés par deux.

S’il est un engagement qui a été renouvelé et réaffirmé tout au long de la campagne, c’est l’égalité entre les sexes. La première loi mise à l’ordre du jour est celle contre les violences conjugales. Elle est adoptée. « Ce n’est plus seulement de réparations qu’il s’agit, ou de panser les blessures, mais de renforcer la prévention, en portant une attention majeure à l’éducation et à l’égalité à l’école, à la santé publique, à la sécurité », selon le communiqué de l’AFP.

La rentrée scolaire approche, les emplois d’enseignants supprimés par la droite sont rétablis et orientés en priorité vers les établissement classés difficiles. Le nombre d’élèves par classe en CP et en CE1 est au maximum de 17 dans les zones sensibles. L’éducation est bien la priorité des priorités de la nouvelle présidente, qui insiste pour réintroduire l’enseignement artistique de la maternelle à l’université, ainsi que pour soutenir les associations culturelles qui avaient été durement frappées par les restrictions budgétaires.

14 juillet

La présidente assiste au défilé aux côtés d’Angela Merkel, de Romano Prodi et de José Luis Zapatero. Ensuite, ils remontent les Champs-Élysées à pied, symbole de l’Europe en marche…

La garden party est ouverte non plus seulement aux officiels et à leurs familles, mais à des citoyens tirés au sort. L’invitée d’honneur est Mélanie Bétancourt, la fille d’Ingrid.

6 août

Vacances pour tout le monde. Courtes. C’est la première vraie halte de Ségolène Royal depuis des mois. Elle ne change pas ses habitudes pour autant :vacances familiales, avec juste les officiers de sécurité en plus.

Avant les vacances parlementaires,le ministre de l’éducation nationale a annoncé que l’allocation de rentrée scolaire versée aux familles serait doublée. Elle est versée immédiatement.

Septembre

La loi de finances 2008 est en cours de préparation : le budget de l’université est augmenté de 10 %, celui de la recherche aussi. La justice sociale passe par la justice fiscale : on réfléchit aux suppressions des niches fiscales, et on instaure un bouclier logement, qui protège les locataires de la hausse exorbitante des loyers.

Grand moment d’expression démocratique dans le pays : le référendum sur la VIe République.

Beaucoup de débats, la droite dure se déchaîne contre la perte de ses pouvoirs.

La suppression du 49.3, la fin du cumul des mandats, les droits de l’opposition, l’institutionnalisation de la démocratie participative, le renforcement des pouvoirs du Parlement, les jurys citoyens, la transformation du CSA en Haute Autorité du pluralisme, dont les membres sont nommés par l’Assemblée à une majorité des 3/5e, l’ouverture du Conseil économique et social aux représentants d’associations de défense de l’environnement et de la culture… Le renforcement de la démocratie, son approfondissement. C’est une révolution douce, celle de la France, enfin présidente.

Aurélie Filippetti

Récit d’horreur : Ensemble, ça va pas être possible

7 mai 2007

Je suis crevé. Pas dormi. Toute la nuit, mon fils malade… Comme le 21 avril 2002. Comme si je lui transmettais mes angoisses… Sarkozy vient d’emporter l’élection présidentielle. Je n’ai pas réussi à relativiser.

Café noir. Je dépose le p’tit à l’école. Il donne l’impression d’avoir récupéré. Pas moi. Ma tête de déterré se reflète dans la vitre du RER. Autour de moi, la banlieue défile. Marne-la-Vallée, Seine- Saint-Denis, Val-de-Marne… Changement gare de Lyon.

Les passagers ont les yeux lacés à leurs chaussures. Le dos plus voûté qu’à l’habitude. Silence dans les rames. Mais où sont-ils les électeurs de Sarko ? Ils ne doivent pas vivre sous terre. Ou peut-être qu’ils doutent déjà de leur propre vote…

8 mai

Les télégrammes de félicitations se sont accumulés à la permanence du nouveau chef de l’État. «Chef de l’État»… Tu te rends compte ? Au milieu des communiqués de circonstance, quelques hommages appuyés et amicaux signés Berlusconi, Aznar, Barroso… Moi, je reçois des SMS. Désespérés. Désespérants. «Putain cinq ans ! »

10 mai

Il a le sens des symboles le nouveau président. Choisir le 10 mai pour annoncer l’identité de son Premier ministre ! Pour rien au monde, il ne raterait une provocation .

Cela faisait quatre jours qu’il n’occupait plus la télé. Une éternité. Comment a-t-il pu résister devant tous ces micros ouverts ? Maintenant il nous regarde. Sur le plateau, il sourit. D’une oreille à l’autre. Il a l’air content, surtout de lui-même.

Dans le Canard – pas encore enchaîné – d’hier : « Nicolas Sarkozy n’a pas besoin d’euphorisants. Tous ses visiteurs décrivent un président en verve : « Je les ai tous niqués ! Niqués ! Chirac est mort,Villepin je vais le pendre moimême au croc d’un boucher, Bayrou je viens d’offrir une boîte de clous pour sa crucifixion. Quant à MAM, je vais l’humilier en lui proposant un sous-ministère ». La gauche n’est pas épargnée : « Les socialistes ? Pas besoin de les taper. Je les connais. Ils vont s’entretuer pendant dix congrès pour déterminer les raisons de leur défaite. Je suis là pour vingt ans » !

17 mai

Le secrétaire général de l’Élysée est sur le perron pour annoncer le nouveau gouvernement. Et moi, je suis encore coincé dans le RER. Dans la rame, il y a un passager qui a été plus prévoyant que moi. Il a l’oreille vissée à un vieux transistor. Je ne comprends pas tout. Un nom que j’attrape… celui du Premier ministre… François Fillon. Je saisis encore que nous avons échappé à Balkany à la Justice, mais pas à Estrosi au nouveau ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale…

23 mai

Assemblée nationale. François Fillon, mèche plaquée désormais, récite son discours de politique générale. Triste et sec, comme une blanquette sans sauce. Le porte-plume a dû changer. Oubliés Jaurès et Blum. La droite, rien que la droite…

20 heures.Borloo est envoyé dare-dare à l’antenne pour corriger le tir. C’est sa mission dans le gouvernement: mettre le carré de beurre dans les épinards. Il ne manque pas de charme: parler simple, gueule de gamin ridé,sourire affleurant. Pas suffisant pour nous rassurer.

29 mai

Je déjeune avec Manon, dans le Xe arrondissement. Comme à chaque fois qu’elle arrive de son boulot à Aulnay, elle est en retard. Le restau de la rue d’Enghien où nous mangeons est à deux pas de l’ancien siège de campagne de Sarko.Tout a été remballé. Les anciens clients ne sont pas revenus pour autant. Du coup, on a presque la salle pour nous tout seuls.Elle fait une drôle de tête… Elle a eu un entretien avec son boss : – Je voulais vous voir… pour travailler plus. Faire des heures sup, quoi… – quelles heures sup ? – Ben… je voudrais gagner plus ! Pour seule réponse, elle a eu le rire du taulier. Zéro perspective. Trente-cinq piges et déjà au taquet…

17 juin

Deuxième tour des élections législatives. Les Français ont commencé à comprendre. Pas encore assez pour priver le nouveau président d’une majorité. Mon ex-beau-père va pouvoir s’arsouiller dans tous les rades du quartier pour fêter ça… Il y a des jours comme ça où je me dis que j’ai vraiment bien fait de divorcer. J’aurai pas à vivre ça : Georges beurré, carbonisé, déchiré… Tout ça au nom de l’ordre et à l’ombre de la croix de Lorraine !

Sans jouer les zombies-du-bar, je décalotte quand même une bouteille. Il faut bien essayer d’oublier quelques heures que Sarkozy dispose à présent d’un pouvoir illimité : institutions, médias, grand patronat… De toute façon, sobre ou pas, demain, j’aurai le casque.

1er juillet

Session extraordinaire à l’Assemblée. « Extraordinaire », c’est le mot juridique qu’ils utilisent à la télé. C’est pas moi qui le dis… Séances autour de la LNMSF. En français, ça veut dire « loi pour un nouveau modèle social français ». Tout un programme : limitation du droit de grève, contrat de travail unique sur le modèle du CPE… On avait été prévenus… Les syndicats s’indignent et se scandalisent. Sauf que les Français, eux, pschiiiiiiit… Ils sont partis sur la route des vacances. Ils ne veulent plus entendre parler politique pendant au moins deux mois. Soleil et silence de plomb.

17 juillet

Manon n’est pas forcément à classer parmi les révolutionnaires. Elle serait plutôt du genre « aquaboniste ». Quand elle est arrivée, c’est tout juste si je l’ai reconnue… Les yeux rougis et les lèvres tordues par la colère.

Le fameux plan social de 10 000 salariés à PSA dont l’annonce n’a fait l’objet que de quelques toutes petites lignes pendant la campagne présidentielle, eh bien le voilà ! Ils vont tout bonnement fermer le site d’Aulnay. Sarkozy a renvoyé la responsabilité au marché. « Ce n’est pas le rôle de l’État de se mêler de ces questions. La stratégie industrielle des entreprises ne relève que d’elles. » Manon est licenciée.

3 août

Gouvernement et Parlement sont enfin partis se mettre au vert. Quinze jours sans Sarko. Drôle d’effet. D’un seul coup, l’atmosphère change. Comme un goût de permission.

Où est parti le couple présidentiel ? C’est pas que la question me taraude tant que ça, mais juste un peu de curiosité. Je me dis qu’ils sont peut-être chez les Lagardère, les Bouygues ou les Dassault… Comme ça, ils peuvent réfléchir ensemble à la grille des programmes pour la rentrée… Est-ce qu’ils vont oser ? Après tout qu’est-ce qui peut les retenir maintenant ?

Côté France télévisions, la nouvelle équipe de direction plaît beaucoup au président de la République : pas le genre à vous oublier devant la salle de maquillage, ni à vous importuner avec des questions de journalistes que les Français n’auraient pas eu le (mauvais) goût de poser.

28 août

Université d’été de l’UMP. Sarkozy confirme : il garde la présidence de son parti. Pas le genre à lâcher du pouvoir. Pas maintenant que ça va changer… Il faut bien reconnaître que Nicolas Sarkozy est parfois un homme de parole. Dans le public, au premier rang, il y a le secrétaire d’État aux Questions éthiques, Éric Besson, plus connu comme auteur à succès. Cette année, le même mois, il a réussi deux best-sellers. Le premier sur Sarko, le second sur Ségo. Dans le monde de Nicolas Sarkozy, tout s’achète : les idées, les amis, la fidélité, la loyauté…

1er septembre

Ce soir :émission spéciale à la télé.Trois heures pour « mieux connaître notre nouveau président », a dit le présentateur. Je me demande ce qu’il peut encore nous dire de lui que nous ne sachions déjà. Manon me dit que, peutêtre, il va nous révéler le code de sa carte bleue…

Non franchement, j’étais mauvaise langue. Il a été époustouflant. A 21 h 30, on a bien senti l’émission vaciller. Discours trop attendu, trop classique. Et la bête de scène a ressenti ça. Il y a du Johnny dans Sarko. Il a suffi d’une toute petite perche de Michel Drucker pour que tout bascule.

– « vous savez Michel, je voudrais vous dire que pour moi, tout n’a pas toujours été facile »… Et là, le président arrogant, le Machiavel de l’UMP, est redevenu le gentil petit garçon qu’il n’avait jamais cessé d’être.

Ému aux larmes, Sarko n’est jamais aussi touchant que lorsqu’il parle de lui. Jamais aussi compatissant que lorsqu’il pense à lui. Jamais aussi lumineux que lorsqu’il évoque sa propre réussite. Il y a aussi du Jean-Marie Messier dans Nicolas Sarkozy.

S’aimer à ce point… ça fait plaisir à voir ! Voilà un président qui n’a visiblement pas le gène du suicide.

15 septembre

Dingue ! Tout ça en bas de chez moi, presque sous ma fenêtre ! Ce matin, j’ouvre les volets de la cuisine et qu’estce que je vois ? Une éclosion de mobile homes. Quatre-vingt-dix ! Je n’avais pas compris jusqu’alors que le « droit opposable au logement », c’était le droit des sans-logis opposable dans les quartiers des mal-logés. Ce n’est pas à l’ouest de Paris, pas à Neuilly, qu’ils vont recaser les « gueux » du canal Saint-Martin… C’est à l’est de l’Île- de-France.Welcome in the ghetto…

20 septembre

Présentation de la loi de finances pour 2008. Ils n’ont plus peur de rien. Xavier Bertrand, le nouveau ministre de l’Économie et des Finances, balaie d’un revers de son blazer bleu marine à boutons dorés les questions insolentes des journalistes : « Oui, la droite est de droite ! Oui, il faut en finir avec ces politiques de redistribution par l’impôt ! Toutes ces idées fleurent bon le XXe siècle socialiste. Il est temps de libérer les énergies. De rendre aux Français le produit de leur travail ! »

C’est l’avalanche : bouclier fiscal, fin des droits de succession, réforme de l’ISF, nouvelles baisses pour les tranches supérieures de l’impôt sur le revenu, exonérations fiscales pour l’emploi de personnel de maison… Comme ça, les riches seront enfin égaux avec les pauvres : ils ne paieront plus d’impôts !

1er octobre

Je ne m’étais pas encore relevé de cette première salve fiscale que le gouvernement attaque à nouveau en piqué ! C’est pas possible, ils ont dû retrouver Alain Madelin !

Ce matin, ils ont présenté la loi de financement de la sécurité sociale : franchise annuelle de 100 euros, déremboursements de médicaments, nouvelles restrictions d’accès à l’aide médicale d’État, création d’une TVA sociale…

Si je n’avais pas peur de terminer le bras couvert de bleus, je me pincerais bien. Je crois que même les plus masochistes n’avaient pas anticipé ça quand ils ont glissé leur bulletin Sarkozy dans l’urne.

13 octobre

Putain de soirée. Tant pis pour Jérôme, mais rien à faire. Je ne peux pas. – Allez, Manon, on s’en va. On en a assez vu… – Attends ! on ne peut quand même pas partir maintenant ! On vient à peine d’arriver. C’est quand même son anniversaire… Moi, je me sauve avant d’attraper de l’urticaire. Il y a pire que Sarko : les sarko boys ! ils sont terrifiants. Ils ont été élevés par Casimir, mais ont basculé du côté obscur de l’Île aux enfants. Ados sous Mitterrand, ils n’ont pas pu assumer leur « droititude ». Depuis mai, ils se sont lâchés sur la France comme des fauves frustrés. Plus rien ne les freine. La victoire de l’UMP les a mis en état d’ivresse politique. C’est l’heure de la revanche. Libéraux jusqu’à l’os. Ils ne pensent qu’au fric. Ils ne croient en rien d’autre. Ils s’en vantent. Ils sont à pleurer. Je préfère m’en aller.

23 octobre

C’est formidable. Avec ce gouvernement, c’est une mauvaise surprise par jour ! On n’est jamais déçu… ou plus exactement, on est certain de toujours l’être. Pourtant, les dirigeants de l’UMP ne ménagent pas leurs efforts. Selon une méthode bien rodée,à chaque annonce difficile, le gouvernement met en avant une mesure positive qui l’équilibre médiatiquement. Aujourd’hui, le ministre de la Justice avait à s’expliquer sur sa mise en oeuvre d’une politique de détection précoce des jeunes délinquants. Pour contourner le mur des critiques, le Garde des sceaux a annoncé la création d’un nouveau métier. Un nouvel emploi face à de nouveaux criminels : puéricultrice pénitentiaire…

1er novembre

Il a fait froid aujourd’hui. Le président était en banlieue. Mobilisation générale. Gyrophares et uniformes partout. Des airs d’Omaha Beach, un jour de débarquement. Le conseiller com’ sur les dents. Comme à chaque déplacement difficile désormais, la police ratisse avant le meeting. Les éventuels persifleurs sont envoyés au poste. Clicclac, bracelets offerts et accrochage au radiateur : pas bouger, Sarko parler. Quand Sarko fini, vous relâcher… Jeunesse désireuse, jeunesse dangereuse.

Dans la ville voisine, il y a une usine occupée. Les gars avaient le projet de rencontrer le président en délégation. Pour l’occasion, ils s’étaient commandé une superbe banderole : « Rendez-nous notre dignité ». Trop subversif… Et eux qui croyaient que le président était maintenant celui de tous les Français.

« Mais je suis entouré d’incapables ou quoi ? Vous le faites exprès ? Il y a des milliers de personnes qui se pressent sur la place de Paris pour pouvoir travailler avec moi ! Alors, arrêtez-moi tous ces types ou je vous vire dans l’heure ! » Il ne faut pas gâcher la belle image pour le 20 heures.

Ce nouvel épisode a eu un seul avantage: cet avocat dont j’ai oublié le nom, mais qui devait être un peu de droite, s’est enfin réveillé :«La volonté du président ne peut conduire à ignorer la liberté d’expression et le droit de manifester.»

2 novembre

Une, puis deux, puis dix, puis cent. Dans la nuit noire, des feux de voitures éclairent les tours.Fumées âcres jusqu’au ciel. Les portables sonnent, vibrent. Les photos circulent en MMS. Après le «happy slapping»(1), la présidence sarkozy permet d’inaugurer le «happy burning»(2).

A 18 heures, invité sur Fun Radio, le chef de l’État est revenu sur ses propos et ceux de sa ministre Rachida Dati qui, dans une vidéo qui a fait le tour de l’internet, évoquait une « rénovation urbaine à coup de Kärcher ». – «Mais qu’est-ce qui vous choque dans nos propos? C’est la marque allemande qui vous gêne? Parce que c’est le pays de la solution finale? C’est de cela qu’il s’agit? Alors je peux vous comprendre. Disons que si j’avais à recommencer… je proposerais de nettoyer La Courneuve à la sulfateuse. Cela permettra de protéger les braves gens contre tous les parasites. »

Message reçu 5 sur 5. Effet immédiat garanti…

3 novembre

Du coup,entre deux feux,le ministre de l’Intérieur est l’invité de Nicolas Demorand sur France Inter.

Lancement du dernier disque de Moussa du 9.4 pour donner le ton de la matinale :

« T’as prétendu que t’allais venir nous nettoyer au Kärcher, On t’attend de pied ferme, tes paroles vont t’coûter cher…»(3)

Le ministre donne le sentiment de ramer à contre-courant avec une petite cuillère…

5 novembre

Il paraît que la chancelière allemande est furieuse. Dans le Monde d’hier, le correspondant à Berlin rapporte la colère d’Angela Merkel : « Pendant la campagne présidentielle, je n’ai pas réagi à ses propos sur les Allemands pour ne pas le handicaper face à Madame Royal. Mais là c’est trop. Recommencer avec l’Allemagne, pays de la solution finale… Il est vraiment fou. Il va finir par dire que les Allemands ont un gène nazi. » Après les émeutes dans les quartiers en France, il ne manquait plus qu’une crise franco-allemande. L’ambassadeur d’Allemagne s’est rendu dès hier au quai d’Orsay pour obtenir des explications de la part de Philippe Douste- Blazy, l’indéboulonnable ministre des Affaires étrangères.

17 novembre

C’est l’anniversaire de la création de l’UMP. Nicolas Sarkozy a commandé à Publicis un film relatant ses exploits. À Villepinte, 40 000 personnes sont attendues pour fêter cet événement avec le président. La journée ne coûtera que 3 millions d’euros, a révélé le trésorier du fameux mouvement du président.

À 16 h, pour clôturer cette mémorable journée, les géniaux animateurs font arriver, au bout d’une grue mécanique, un immense gâteau représentant la France. Le logo de l’UMP s’étale sous la forme d’une abondante chantilly.

À 16 h 05, une jeune femme à la chevelure peroxydée crève la pâtisserie et entame un « Happy Birthday Mr Président, poupoupidou ouah ! »… Le président, qui a attrapé la main de son fils Louis, ne retient pas sa larme. Elle coule – en gros plan et au ralenti – en direct sur la chaîne télé de son ami Martin Bouygues.

5 décembre

Nicolas Sarkozy s’est rendu ce soir avec son avion « Air France 1 » à Washington. Il doit rencontrer George Bush demain matin à la Maison-Blanche. Cette fois l’entretien ne se fera pas entre deux portes… La presse rapporte que dans l’entourage de Nicolas Sarkozy, on décrivait ces dernières heures un « président très excité » à l’idée de rencontrer « d’égal à égal » le patron de la première puissance mondiale…

6 décembre

20 h.Toutes les télés sont en boucle sur le déplacement américain de Nicolas Sarkozy. George Bush n’a pas lésiné. Pour une fois qu’il trouve un inconditionnel en France ! je m’avale mon pastis d’une traite… Et je crois que demain je recommence la cigarette…

En raccompagnant son invité, il s’est même allé à prononcer devant les caméras quelques mots en français (avec son inimitable accent texan) : « J’adooore votre new president. Avec lui nous pôvons changer le mooonde. Nous partachons l’essential. The same valeurs. Nous defendre the same civilisation. J’adooore son livre sur le religious dans le politique.Vive la France!»

Cela fait à peine six mois que Sarkozy est président. Je n’en peux plus. Je me dis que c’est pas possible… On va se réveiller… Le 6 mai 2007, les Français n’ont pas voté Sarkozy !

Thomas Colognac